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Finir ce que l’on a commencé

 

Les feuilles sèches bruissent sous son pied avant d’étouffer leur plainte dans le lit d’humus qu’elles recouvrent. Il avance d’un pas sûr et régulier malgré la pénombre et les arbres drument plantés. Sa nuque détendue laisse deviner le sourire qui éclaire son visage à mesure qu’il redécouvre ce terrain connu. Il se faufile à travers les branches basses ; celles-là mêmes qui, dans sa jeunesse, le faisaient s’en revenir égratigné de ses longues échappées crépusculaires : la forêt a peu changé. Les sons, familiers eux aussi, empruntent les sillons gravés par leurs passages répétés à travers les sinuosités spongieuses de son cortex : les lombrics fouissant la terre humide, les insectes dendrophages qui partouzent sous l’écorce craquante des feuillus, le vol solitaire d’un oiseau surpris par la trop soudaine tombée du jour.

 

Il progresse tranquillement dans la hêtraie lorsque la lumière faiblissante lui permet de déceler, cinquante pas devant lui, une ombre basse qui serpente souplement le long du tronc depuis longtemps couché d’un arbre abattu par les bourrasques de son enfance. Il y voit un haret, pour montrer qu’il a du vocabulaire, même si ce n’est probablement qu’un hibou blessé. Quand il arrive près du vieux fût allongé, l’ombre s’est éclipsée. Il aurait été déçu, à une époque, d’avoir laissé filer un tel trésor. Il avait longtemps rêvé de pouvoir dénicher une vipère qu’il aurait apprivoisée et entraînée à le défendre… Mais sa meilleure trouvaille avait consisté en une salamandre à demi morte trouvée au bord du ruisselet froid au cours trainant.

Il devrait pouvoir le voir d’ici. Il grimpe sur le cadavre luisant, prenant soin d’éviter les taches moussues ; en cette saison et à cette heure, une trouée devrait lui laisser percevoir quelque falot reflet à la surface des flots jamais tumultueux. Il ne voit rien. Ce n’est peut-être pas encore l’heure, il n’en est pas certain : sa montre est restée dans la voiture garée sur le bas-côté. Pensant que quelques minutes d’attente lui permettront d’être fixé, il sort d’un étui nickelé une cigarette confectionnée par ses soins ; il en tapote le filtre, en deux salves de trois coups rapprochés, sur l’ongle de son pouce déjà terreux. Il ne l’allume pas tout de suite, se demandant si la foudre parviendrait à le faire, si c’est déjà arrivé, si quelqu’un y a même déjà pensé… Comme le temps n’est pas à l’orage, il consigne l’idée parmi celles du même ordre, mal rangées et à moitié oubliées, puis allume sa cigarette avec un briquet.

 

 

Ayant bien fumé, avec entrain mais sans se précipiter, il balance le mégot d’une élégante chiquenaude. Le bout de clope tournoie dans l’air mat et, dans un ralenti à peine forcé, retombe dans l’ouverture écrasée d’une boîte en fer blanc abandonnée. Ravi de cette improbable réussite, il tente un sobre geste de célébration mais la mousse a grimpé le long du tronc pour se glisser sous sa botte : il dérape, vacille quelques secondes, pense pouvoir rétablir l’équilibre et, alors qu’il y parvient, voit sa semelle à nouveau subir l’assaut du lichen malveillant. Il tombe lourdement, sur le dos. C’est froid et mouillé et gras. Mais pas désagréable, plutôt paisible. Il pourrait s’enfoncer dans le sol comme dans un matelas trop mou. Ses yeux se fermeraient, il lutterait brièvement contre l’assoupissement, juste pour la forme, avant de se laisser aller. Ça ne durerait pas trop longtemps, il sourirait, imaginant les vers bientôt zigzaguer joyeusement entre les mèches trop longues de sa nuque brisée, puis s’immiscer dans l’orbite énucléé par les naissantes défenses d’un marcassin affamé… L’acide odeur de corps putréfié teinterait bien vite, de son noble fumet, le spectre des fragrances forestières tandis que l’éclosion des larves se ferait l’ironique écho de celle des grains de maïs qu’il contemplait, passionnément, à travers le couvercle de verre de la marmite éculée.

 

Son extinction, au fond, ne changerait pas grand-chose, sinon pour elle…

 

 

Il se palpe le torse et les bras, remue les orteils, tourne la tête à gauche puis à droite : rien de cassé.

 

Éclopé, il aurait pu, au moins, se trainer péniblement, claudiquant et geignant. Ou ramper sur le sol boueux en gémissant. Mieux encore, se laisser rouler le long de la pente douce qui l’aurait amené jusqu’en bas, près du ruisseau où il aurait pu se laisser crever la gueule ouverte.

 

Il se relève, renifle bruyamment avant de cracher machinalement vers ce qu’il pense être l’ouest. Il part dans la direction opposée, descend le sentier presque effacé tracé jadis par le garde forestier. La luminosité a encore un peu baissé mais il pourrait parcourir ce chemin les yeux fermés tant il l’a emprunté, seul et parfois même accompagné. Il se rappelle un été caniculaire, le ciel blanc surchauffé et les pantalons trop courts, cette fille qui le suivait partout où il allait, muette. Ça avait été la première et des sensations qu’il n’avait jusqu’alors qu’entraperçues, deviné se tapir prêtes à surgir, s’étaient emparées de lui. Cet été paraît si lointain maintenant qu’il approche de la fin, de la dernière.

 

 

Une puissante lassitude le gagne quand il voit le repère de peinture rouge usée qui balise le sentier. Il se demande pourquoi continuer alors qu’il serait si facile de s’arrêter : pas besoin de mort ou de blessure pour l’entraver, sa volonté, seule, devrait suffire à le stopper. Entre deux maux, pourquoi toujours choisir celui à l’effet différé ? Il pourrait, là, tout de suite, faire demi-tour. Un bon quart d’heure de marche et il retrouverait le confortable habitacle de la voiture, les sièges en cuir et les finitions en ronce de noyer, la stéréo, un morceau de bossa ou de ska punk indé, la route noire et brillante à travers les bois : rouler, rouler, le plus loin possible, s’éloigner, disparaître, ne plus revenir, jamais ! et merde à l’inachevé…

 

« Finir ce que l’on a commencé »

 

Il a rejoint la voiture, fouillé le coffre pour rassembler les quelques objets qui y trainaient et les stocker dans un sac en plastique bleu, au fond renforcé, qu’il a déposé sur la banquette arrière avant de s’installer dans le siège passager. Il a ouvert la boîte à gants, y a pris la montre qu’il avait tout à l’heure oubliée : les aiguilles l’ont averti qu’il se faisait tard, qu’il fallait décider. Il a quitté la place du mort pour celle du conducteur, introduit la clé dans le contact sans la tourner. Il a agrippé le volant, fermement, des deux mains, se voyant gravement lancer la pièce d’un ultime pile ou face.

 

Face…

 

 

Il a retrouvé le ruisseau : ce n’est plus qu’un fin filet de flotte qui, grâce aux hydrocarbures qu’on y a déversés, arbore un chatoiement de reflets irisés. Ça et là gisent de petits animaux morts ou mourants. On y voit aussi quelques rebuts humains : canettes de bière oxydées, préservatifs usagés et jante alu (18 pouces) apportent une diversité bienvenue au traditionnel patchwork de sacs plastique délaissés. A ce propos, le sien (de sac plastique) commence à lui peser. Il a beau eu alterner son transport entre bras droit et gauche, épaule droite et gauche, maintien des deux mains contre la poitrine, le ventre, les genoux, il n’en est pas moins essoufflé. Et le versant nord qu’il lui faut maintenant escalader n’est pas pour l’encourager. Il pose le sac sur une souche accueillante et entreprend d’en examiner le contenu afin de déterminer si il peut le délester d’un ou plusieurs des objets qu’il y a rangés. Une fois les pièces extraites, il procède méthodiquement : il classe les choses en les alignant sur la souche dans un ordre d’importance déterminé par une combinaison de critères dont il s’efforce de se démontrer l’objectivité. Au bout d’une suite de manipulations, permutations, déclassements, reclassements, cas de conscience, jugements et révisions, il obtient un alignement de ses sept instruments : il conserve la lampe-torche (il fera nuit quand il arrivera et il ne saurait dire si il reste du pétrole dans la lanterne qui est là-bas), le couteau suisse, les piles et la pelle tandis qu’il élimine le jerrycan, le cadre photo et le sac de pommes de terre. Trois exclus qu’il abandonne le cœur lourd mais les bras légers en montant la pente, décidé.

 

 

Le chien dormira paisiblement à ses pieds, près du feu. Les claquements irréguliers du bois en combustion provoqueront de petits spasmes qui feront remuer ses longues oreilles pendantes.

 

Il lissera sa barbe grise de la paume de sa main droite, contemplant la joyeuse danse des escarbilles rougeoyantes qui s’envolent. Il sortira d’une boîte en fer les photos de vacances envoyées cet automne par ses petits-enfants : sorbets au citron, cerfs-volants et écorchures aux genoux. Il les regardera longtemps avant de les ranger dans leur boîte.

 

Une bûche consumée se disloquera dans le feu dans un bruit cendreux ; le chien ouvrira brièvement les yeux pour les refermer aussitôt qu’il aura trouvé le regard de son maître bienveillant.

 

Il se lèvera du fauteuil pour aller prendre la désuète blague à tabac sur l’étagère en pin. Il bourrera la pipe en écume dont s’échapperont bientôt de paresseux panaches de fumée parfumée.

 

 

Ça y est, il est arrivé.

 

Le faisceau de la lampe-torche, dans un mouvement hésitant provoqué par sa démarche saccadée, a rencontré la grosse pierre fendue. Le halo de lumière poursuit son avancée précautionneuse, marquée de légères oscillations accordées à son souffle haletant dû au puissant coquetel de fatigue et d’excitation. La tache blanchâtre bute sur une contre-marche de bois peint, marque un temps d’arrêt ponctué d’un soupir puis s’élève le long de la façade de planches vermoulues : une porte et deux petites fenêtres à croisillons apparaissent. Le rythme de sa respiration s’accélère tandis qu’un imperceptible tremblement gagne les membres dont les artères pulsent fébrilement. Il pose la main sur la pierre fendue ; le contact rugueux et froid du minéral l’apaise quelque peu, effet jamais démenti de la pratique de ce rituel, bien qu’il ne se l’avoue pas comme tel. Quelques mètres seulement le séparent de l’entrée de la cabane : un gouffre dans lequel il plonge, la tête la première.

 

 

L’intérieur de l’abri est tel que sa mémoire l’a conservé. Autour du tapis (persan, pense-t-il), occupant le centre de l’unique pièce, s’agence un mobilier sommaire : il y a là une table carrée, deux chaises, une étagère basse contenant quelques produits alimentaires sans doute périmés, un lit de camp aux ressorts rouillés, un poêle de fonte bon marché. La lampe à pétrole suspendue à une poutre du plafond s’allume au bout de quelques essais avant de projeter dans la pièce de blafards reflets qui s’accrochent où ils peuvent pour créer un décor au clair-obscur putassier.

 

Il dépose sur la table les objets sortis du sac bleu. Il s’assied sur une chaise puis, comme elle s’avère bancale, se relève et se rassois sur l’autre. Il fixe d’un regard blanc le tapis étendu ; il mériterait un nettoyage en profondeur ou, à tout le moins, un vigoureux époussetage. Il se relève pour s’agenouiller au bord du tapis, près d’un des longs côtés. Du doigt, il approche la surface usée et trace, dans la mince pellicule de saleté, lettres et dessins enfantins.

 

Ce puéril passe-temps ne peut pas durer : il agrippe la laine effrangée et entame un mouvement d’enroulement, ferme et lent. Aux extrémités du rouleau en formation s’épanchent de gracieuses volutes d’une fine poussière, naine tempête de sable domestique qui, quand elle est apaisée, laisse derrière elle deux crêtes de dunes comme témoins de son passage. L’apparition du plancher clair, pleine d’effronterie, l’atteint comme l’insultante bienséance d’une bourgeoise et paternaliste propreté… et la trappe narquoise qui le nargue, et le cadenas cuivré qui la clôt, au poli si sage et si vulgaire, écœurante barrière de pacotille prétendant naïvement le retenir, le maintenir éloigné de l’inéluctable par son anse aux rutilements aussi fats qu’illusoires. Il attrape la hache qui depuis tantôt invite, de son manche patiné, ses paumes moites à la caresser. L’outil parfaitement équilibré lui permet d’exécuter un ample mouvement, fluide et précis : le tranchant de l’arme s’abat, sectionnant avec netteté le cadenas prétentieux.

 

 

Il soulève la trappe et une épaisse noirceur silencieuse sourd depuis la béance découverte. Elle inonde la pièce, s’immisçant dans les moindres interstices pour traquer les fragments de lumière qui s’y sont réfugiés. L’air opaque, devenu rare et dense, comprime douloureusement ses tympans. Ses expirations s’espacent, peinant à trouver leur chemin dans la viscosité de l’atmosphère écrasante. La suffocation est proche, il sait que le seul salut est dans ce trou. Il s’accroupit à son bord, y trempe un pied comme dans l’eau d’une piscine à la température incertaine : c’est curieusement tiède, il se laisse glisser.

 

L’impact des semelles caoutchouteuses sur le sol de terre battue résonne, presque imperceptiblement. Le silence qui le suit ne dure qu’un court instant ; le temps que se décèlent les vibrations frissonnantes d’un corps blanc et nu.

 

 

 

Les rayons d’un froid soleil matinal transpercent à grand’peine la basse couverture de brume stagnante. Ils atteignent la surface clapotante du ruisselet et lui donnent les couleurs d’un arc-en-ciel mortuaire. Sur la berge s’agite un groupe de fourmis forestières dont s’échappe un long cortège de petits points noirs qui remontent la pente. La piste mène à une souche accueillante où d’autres ouvrières colonisent un éboulis de pommes de terre tombées d’un sac éventré. Plus haut, sur la surface plane de la souche, un cadre photo retient captive l’image d’un couple : l’homme a la barbe noire parsemée de fils d’argent, la femme un sourire mélancolique.

 

La brume se dissipe et un ciel pâle et sans nuage vient surplomber les bois ; à peine est-il troublé par une colonne sombre, presque cylindrique, couronnant les flammes jaunes qui dévorent avidement le bois humide d’une cabane isolée.

 

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Commode lourde (18)

18. Chapitre dernier

 

Un petit bureau mal éclairé au quatrième étage d’un immeuble triste d’une rue crasseuse et grasse de CBD. Dans un recoin de la pièce, un jeune type blondasse, assis à même le sol, ligoté et bâillonné. Dans les escaliers, deux hommes : ils montent.

FRANCIS PLOMB : Combien de fois vais-je devoir te répéter que ça ne comptait pas ?

FRANÇOIS MERCURE : N’empêche… T’es vraiment sûr que ça comptait pas ?

FRANCIS PLOMB : Certain.

FRANÇOIS MERCURE : Mouais… Quand même…

FRANCIS PLOMB : Bon sang François, on était dans les eaux internationales !

FRANÇOIS MERCURE : Mouais…

FRANCIS PLOMB : Et on était saouls, complètement défoncés.

FRANÇOIS MERCURE : C’est pas très convaincant comme explication. Moi je dirais…

FRANCIS PLOMB (l’interrompant fort sèchement) : Bordel de pute François, on avait dit qu’on en reparlerait plus jamais. Jamais ! Alors pourquoi tu reviens avec cette vieille histoire ?

FRANÇOIS MERCURE : Bah, j’en sais trop rien. Ca m’est revenu comme ça ; comme si on me l’avait soufflé à l’oreille.

FRANCIS PLOMB : Soufflé !? Avec quoi tu viens encore ? Bon dieu François, il faut te soigner.

FRANÇOIS MERCURE : Tu connais un bon docteur ?

FRANCIS PLOMB : Non.

FRANÇOIS MERCURE : Ah. Tant pis alors…

FRANCIS PLOMB (à lui-même) : Quel crétin. Mon dieu.

Les deux détectives arrivent sur le pallier du quatrième. Une femme de ménage astique la clenche en cuivre de la porte de leur bureau.

FEMME DE MÉNAGE : Messieurs.

FRANÇOIS MERCURE : Madame.

FRANCIS PLOMB : Madame.

Elle s’écarte pour les laisser entrer.

FRANCIS PLOMB : Madame.

FEMME DE MÉNAGE  Messieurs.

FRANÇOIS MERCURE : Madame.

Les deux détectives pénètrent dans la pièce et prennent place derrière leurs bureaux respectifs. Ils ne remarquent pas la présence, dans un recoin, du jeune type blondasse, assis à même le sol, ligoté et bâillonné. Ils vaquent à certaines occupations. Francis Plomb s’est servi un verre de whisky (un excellent whisky japonais) et François Mercure tente de terminer les mots croisés qu’il a entamés dans le journal de la veille. Un certain temps s’écoule.

FRANÇOIS MERCURE : Il y a quelque chose de changé ici, non ?

FRANCIS PLOMB : Possible.

FRANÇOIS MERCURE : Si, si, j’en suis persuadé.

FRANCIS PLOMB : C’est plus propre ?

FRANÇOIS MERCURE : Non, c’est toujours aussi dégueu. C’est autre chose, comme une présence…

FRANCIS PLOMB : Une présence ? Te voilà devenu médium. De mieux en mieux… seigneur !

Ils retournent à leurs occupations. Un certain temps s’écoule à nouveau. Puis, soudain : « Aaaah ! » Francis Plomb, réveillé par le cri de son coéquipier, tombe de son fauteuil. Il se relève péniblement et s’apprête à enguirlander François Mercure quand son regard tombe sur le jeune type blondasse, assis à même le sol, ligoté et bâillonné, dans un recoin de la pièce.

FRANCIS PLOMB : Qu’est-ce que ?

FRANÇOIS MERCURE (qui s’est ressaisi) : C’est lui !

FRANCIS PLOMB : Lui ?

FRANÇOIS MERCURE : Le jeune type qu’on a taba… interrogé l’autre jour. Millitruc… Millipétrole. Ah flûte, c’était quoi son nom déjà ?

FRANCIS PLOMB : Décibelgaz.

FRANÇOIS MERCURE : Oui, c’est ça ! Mais qu’est-ce qu’il fout ici ?

FRANCIS PLOMB : Tu devrais le savoir ; c’est toi le « médium ».

FRANÇOIS MERCURE : Je n’ai jamais prétendu ça.

FRANCIS PLOMB : Personne ne te « souffle » la raison de sa présence ?

FRANÇOIS MERCURE : Non.

FRANCIS PLOMB : Pff…

FRANÇOIS MERCURE : Bon.

FRANCIS PLOMB : Oui ?

FRANÇOIS MERCURE : On en fait quoi ?

FRANCIS PLOMB (semble réfléchir) : Mmm…

FRANÇOIS MERCURE : On le tabasse ?

FRANCIS PLOMB : Mouais. Pourquoi pas. Ca me ferait pas de mal de me défouler un peu. Cette saloperie d’enquête qui n’avance pas me tape sur le système. Et puis j’aurais bien besoin d’un peu d’exercice : j’ai l’impression d’empâter.

FRANÇOIS MERCURE : Mais non, tu as toujours été gros.

FRANCIS PLOMB : Je ne suis pas gros ! Je suis juste… (il ne trouve pas de mot)

FRANÇOIS MERCURE : Mais oui, d’accord, c’est ça Francix.

FRANCIS PLOMB : Putain de pute François ! Ton langage !

FRANÇOIS MERCURE : Pardon. (Une pause) Bon, on en fait quoi alors de ce type ?

FRANCIS PLOMB : Je ne sais pas. T’as qu’à le détacher. Je n’ai plus le cœur de le tabasser.

FRANÇOIS MERCURE : T’es vexé ?

FRANCIS PLOMB (bougon) : Non.

FRANÇOIS MERCURE : T’es sûr ?

FRANCIS PLOMB : Oui.

FRANÇOIS MERCURE : Pourtant tu m’as l’air vexé…

FRANCIS PLOMB (prenant la mouche) : Puisque je te dis que non ! (Une pause) Allez, détache-le et fous-le dehors ; il me débecte ce type.

François Mercure s’approche de Décibelgaz, assis à même le sol, ligoté et bâillonné, dans un recoin de la pièce. Il commence à défaire les liens qui l’entravent quand son attention est attirée par une feuille de papier placardée sur son torse.

FRANÇOIS MERCURE (se relevant, le bout de papier à la main) : C’est quoi ce truc ?

FRANCIS PLOMB : Hein ? Quoi ça ?

FRANÇOIS MERCURE (déposant le papier sur le bureau de Francis Plomb) : Ca.

Devant les yeux étonnés des deux détectives se trouve ce qui à première vue semble être une lettre anonyme : une feuille de papier blanc de format A4 remplie de lettres découpées (ou plutôt comme déchirées (par des griffes ?)) dans un (ou plusieurs) magazines.

FRANCIS PLOMB : Lis !

FRANÇOIS MERCURE : Ca va être dur.

FRANCIS PLOMB : Dur ? Pourquoi ?

FRANÇOIS MERCURE : Parce que j’ai oublié mes lunettes chez moi.

FRANCIS PLOMB : Bon sang François, tu n’en as même pas besoin.

FRANÇOIS MERCURE : Si, si. C’est super important. Ca me donne confiance. Sans elles je ne suis pas capable d’y arriver.

FRANCIS PLOMB : Mais si mon petit François, je suis certain que tu peux le faire. Tu n’as pas besoin de ces stupides lunettes.

FRANÇOIS MERCURE : Tu crois ?

FRANCIS PLOMB : J’en suis plus que sûr ! Tu peux y arriver ; vas-y !

FRANÇOIS MERCURE : Bon, je me lance (Il se pare de son air professoral et entame la lecture :)

Messieurs,

Je suis abasourdi par la bêtise dont vous avez fait preuve tout le long de cette enquête. Jamais au cours de ma courte existence ne m’avait été donné si pathétique spectacle : deux quilles sans têtes roulant au hasard n’auraient pas pu faire pire. Soit, trêve de remontrances ; je viens de vous livrer l’homme que vous recherchez. Rassurez-vous, je n’exige aucune compensation financière : seule une animosité personnelle a motivé cet acte ; lui foutre dans la gueule quelques claques de ma part sera ma récompense.

Salutations, etc.

FRANCIS PLOMB : Ben merde alors.

FRANÇOIS MERCURE : Ouais, il se fout de notre tête ce corbeau.

FRANCIS PLOMB : Corbeau ? Et pourquoi pas un chat tant que t’y es ?

FRANÇOIS MERCURE : Mais… (Une pause) Ca veut dire que… (Une nouvelle pause) On est…

FRANCIS PLOMB (percutant) : Riches !

FRANÇOIS MERCURE (plus fort) : Riches !

FRANCIS PLOMB (plus fort encore) : Riches !

FRANÇOIS MERCURE (encore plus fort) : Riches !

FRANCIS PLOMB (s’étranglant) : Rrrr…

FRANÇOIS MERCURE (ravi, et le mot est faible) : C’est trop génial ! Tu te rends compte !? On a bouclé cette affaire… Demain je… Demain j’achète une Ferrari ® !

FRANCIS PLOMB (tempérant l’ardeur de son camarade) : Holà ! Pas si vite.

FRANÇOIS MERCURE : Hein ? Mais on a gagné ! On a le type ; il est déjà tout emballé, il n’y a plus qu’à le livrer.

FRANCIS PLOMB : Et qui te dis que c’est bien lui qu’on cherche ?

FRANÇOIS MERCURE : Ben, la lettre…

FRANCIS PLOMB : Et ça te suffit ?

FRANÇOIS MERCURE : Oui.

FRANCIS PLOMB : Pas moi. (Une pause) La moindre des choses, quand on est comme nous des professionnels à la déontologie irréprochable, c’est de pratiquer un contre-interrogatoire du coupable.

FRANÇOIS MERCURE : Tu veux dire du suspect.

FRANCIS PLOMB : Coupable, suspect, prévenu : appelles ça comme tu veux, c’est du pareil au même.

FRANÇOIS MERCURE : Ah non ! Pas du tout.

FRANCIS PLOMB : Arrête de pinailler et débâillonne-le qu’on l’interroge.

François Mercure s’exécute. Il ôte le bâillon de Décibelgaz (une vieille chaussette sale) et l’installe sur une chaise.

FRANÇOIS MERCURE : C’est dommage qu’on ait pas un spot, ça ferait plus pro.

FRANCIS PLOMB : On s’en achètera un, ne t’en fais pas.

DÉCIBELGAZ (se détendant la mâchoire) : Si vous voulez j’en ai un chez moi ; je peux aller le chercher.

FRANÇOIS MERCURE : Pour qui tu nous prends ? Des amateurs ?

FRANCIS PLOMB : Quelle ruse minable. Même venant de toi ça me surprend.

DÉCIBELGAZ : Je jure que je reviendrai.

FRANÇOIS MERCURE : Mais oui, on va te croire.

FRANCIS PLOMB : Bon. Alors c’est toi qui as tué le fils Rouboz ?

DÉCIBELGAZ : Oui.

FRANÇOIS MERCURE : Et pourq…

FRANCIS PLOMB (le coupe) : Attends ! Ca ne va pas du tout !

FRANÇOIS MERCURE : Ben pourquoi ? Il vient d’avouer, c’est parfait.

FRANCIS PLOMB : Non, non, non. Il ne va pas s’en tirer comme ça.

FRANÇOIS MERCURE : Mais…

FRANCIS PLOMB : Il nous a déjà fait le coup la dernière fois. Même pas cinq minutes qu’on l’a interrogé : c’était pas drôle du tout.

FRANÇOIS MERCURE : C’est vrai, je me souviens, c’était vraiment pas marrant.

FRANCIS PLOMB : Cette fois-ci on va pas se laisser avoir, crois-moi.

FRANÇOIS MERCURE : Bien parlé !

DÉCIBELGAZ (protestant) : Mais je viens d’avouer ! J’ai tué Jack Rouboz Jr parce que je voulais me faire Hannah. Et si vous voulez tout savoir, j’ai aussi…

FRANCIS PLOMB (lui balance une lourde baffe) : Ta gueule le plouc ! On t’a posé une question ? Non. Alors tu la fermes !

FRANÇOIS MERCURE (lui file un coup de genou dans les côtes) : Alors !? Tu vas parler crevure !?

DÉCIBELGAZ : Aïe ! Arrêtez ! Je vais tout vous dire. J’ai tué…

FRANCIS PLOMB (l’attrape par le nez et le tord) : Mais merde ! T’es bouché ou quoi !? On t’a dit qu’on voulait du challenge. Résiste un peu bon sang… T’es vraiment à chier comme coupable.

FRANÇOIS MERCURE (tout bas) : Suspect.

FRANCIS PLOMB (remontant son pantalon) : Bon, on recommence. Et cette fois tâche d’encaisser quelques coups avant de lâcher le morceau.

DÉCIBELGAZ : Combien exactement ?

FRANCIS PLOMB (réfléchit) : Je sais pas… Quatre ou cinq ça t‘irait ?

DÉCIBELGAZ : J’aimerais mieux trois si c’est possible.

FRANÇOIS MERCURE (intervenant par un coup de poing dans l’oreille) : Et d’un !

FRANCIS PLOMB (enchaîne par un coup de pied retourné dans le genou) : Et de deux !

FRANÇOIS MERCURE (renchérit par un coup de chaise dans les tibias) : Et de deux !

FRANCIS PLOMB & DÉCIBELGAZ : Deux !?

FRANÇOIS MERCURE : Ben ouais, trois coups chacun, non ? On fait pas comme ça ?

FRANCIS PLOMB (séduit) : Bonne idée. A mon tour. (Il balance sa chaussure dans l’œil de Décibelgaz) Et d’un !

FRANÇOIS MERCURE & DÉCIBELGAZ : Un !?

FRANCIS PLOMB : Ben j’ai dit deux pour mon premier coup alors ça comptait pas. Et donc je recommence du début.

FRANÇOIS MERCURE : Mais c’est de la triche !

DÉCIBELGAZ : Je suis d’accord. Et en plus vous m’avez déjà mis deux coups avant de commencer à compter.

FRANCIS PLOMB : Ils ne comptaient pas ceux-là, c’était juste histoire de s’échauffer. D’accord François ?

FRANÇOIS MERCURE : Parfaitement d’accord Francis.

Les deux détectives se remettent au travail. Une pluie de coups s’abat sur Décibelgaz. Comme ils se trompent tout le temps dans leurs comptes, ils repartent de zéro plusieurs fois et l’interrogatoire s’éternise. Décibelgaz tient vaillamment son rôle : il ne lâche rien, pas un mot ni même un cri (mais c’est plutôt facile puisqu’il s’est évanoui après avoir reçu un coup de boule de Francis Plomb dans les testicules). Au bout d’un temps, Francis Plomb et François Mercure se trouvent essoufflés. Ils s’asseyent derrière leurs bureaux respectifs. Francis Plomb se sert un verre de whisky (un excellent whisky japonais), François Mercure poursuit le remplissage de la grille de mots croisés.

FRANCIS PLOMB : Ca c’était un interrogatoire.

FRANÇOIS MERCURE : Oui, on a assuré.

FRANCIS PLOMB : Comme des bêtes.

FRANÇOIS MERCURE : Tu crois qu’on l’a tué ?

FRANCIS PLOMB : Possible.

FRANÇOIS MERCURE : Ce serait dommage.

FRANCIS PLOMB : Pourquoi donc ?

FRANÇOIS MERCURE : Oh non, j’ai juste dit ça comme ça ; ce n’était qu’une figure de rhétorique.

A ce moment, Décibelgaz rouvre les yeux. Il crache par la bouche du sang et aussi un peu des dents. Il veut parler mais seul un mince filet de voix se fait entendre. François Mercure, qui a fini ses mots croisés, s’approche de lui pour écouter ce qu’il a à dire.

DÉCIBELGAZ : J’avoue… C’est moi qui ai tué Jack Rouboz Jr… J’étais jaloux parce qu’Hannah avait couché avec lui…

FRANÇOIS MERCURE (à Francis Plomb qui n’a pas daigné bouger son cul) : Il avoue !

DÉCIBELGAZ : Hannah, j’en étais dingue… Mais elle a disparu.

FRANÇOIS MERCURE : Tu l’as tuée elle aussi ?

DÉCIBELGAZ : Non, non. Elle a disparu comme ça, d’un coup.

FRANÇOIS MERCURE (infirmier) : Doucement petit, respire bien à fond. Ca fait du bien de tout lâcher, n’est-ce pas ?

DÉCIBELGAZ : Je vais mourir, c’est ça ?

FRANÇOIS MERCURE : Oui, tu vas crever.

DÉCIBELGAZ : Ah merde…

FRANÇOIS MERCURE : Tu as autre chose à dire avant d’y passer ?

DÉCIBELGAZ : Oui… Sara…

FRANÇOIS MERCURE : Sara quoi ? C’est qui ?

DÉCIBELGAZ : Vous pouvez encore la sauver… elle est… dans…

FRANÇOIS MERCURE (à Francis Plomb) : Je crois qu’il est mort.

FRANCIS PLOMB : Mais non.

FRANÇOIS MERCURE : Je crois bien que si.

FRANCIS PLOMB (maugréant et se levant) : Je vois d’ici qu’il respire encore.

FRANÇOIS MERCURE : Tiens, c’est vrai. (Une pause) Et qu’est-ce qu’on en fait maintenant ?

FRANCIS PLOMB : On attend que notre commanditaire nous recontacte et après on le lui livre.

FRANÇOIS MERCURE : Ca marche. (Une pause) Je vais m’acheter un magazine pour patienter. Il te faut quelque chose ?

FRANCIS PLOMB : Non merci.

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Commode lourde (17)

17. L’auteur

 

Hannah a disparu. Elle a été enlevée ; retirée. Retirée du roman. Par moi, l’auteur. Bonjour. Il faut dire que ça devenait beaucoup trop dangereux pour elle là-dedans ; elle aurait pu m’échapper : se faire kidnapper, se faire tuer, tomber malade ou ,pire encore, amoureuse d’un autre (Décibelgaz, Jack Rouboz Jr, Jack Rouboz Sr, Francis Plomb, François Mercure, le vieux chasseur, le facteur… ou vous, lecteur). Je ne voulais courir aucun de ces risques et j’ai donc trouvé sage de soustraire Hannah à ces périls menaçant son intégrité. Il est vrai que j’aurais très bien pu ne jamais l’y soumettre ; que j’aurais pu la garder bien à l’abri dans un recoin de mon esprit… Mais la maintenir ainsi prisonnière n’aurait été ni noble ni valeureux. Il m’a fallu du courage pour l’exposer de la sorte ; courage dont bien peu d’autres, j’en suis persuadé, auraient fait preuve dans ma situation : ceux-là l’auraient tout au mieux bridée, enchainée ou camouflée derrière quelque voile d’opacité ou un écran de fumée. Mais je vous l’ai livrée dans son entièreté : nue (très souvent), sans artifice. Il est temps, à présent, de l’oublier : jamais vous ne la reverrez. De toute manière, sa présence n’avait plus aucun intérêt (si ce n’est, bien évidemment, sa joliesse à votre regard offerte) : elle n’allait, en aucune façon, retrouver Sara (et c’est quand même cela qui nous intéresse (en tout cas c’est ce qui m’importe et comme c’est moi l’auteur c’est moi qui décide et si je veux, là, comme ça, sans transition, profiter de ce chapitre pour raconter tout autre chose (une digression sans rapport avec le récit, par exemple) et bien je peux me le permettre et d’ailleurs je ne vois pas de raison de m’en priver et je vais le faire tout de suite :

« Petit conte de carnaval ou comment tromper l’ennui au travail

Il était une fois, dans une petite bourgade appelée Soignies, un couple de poissonniers.  Ils étaient mariés depuis quelques années et attendaient désespérément la venue d’un enfant.  Un jour qu’elle se trouvait dans la forêt à glaner des glands, la poissonnière fût prise d’un malaise et s’évanouit.  Elle ne reprit conscience qu’au bout de plusieurs heures, des grognements bestiaux résonant dans son crâne et un fort mal de cul l’empêchant de marcher droit.  Trois jours après cet incident, dont elle avait tout tu, la brave femme (c’était en effet une brave femme) fût prise d’insupportables convulsions qui la firent gueuler sa race.  Son mari le poissonnier, inquiété par ces cris inhumains, courut chez l’apothicaire qui vivait à quelques lieues du bourg.  Ils firent le chemin du retour quatre à quatre et arrivèrent hors d’haleine à la chaumine où la femme les avait attendus.  Les deux hommes pénétrèrent dans la demeure et se figèrent immédiatement à la vue de l’horrible spectacle qui s’étalait sous leurs yeux.  Dans une mare de sang et de matières fécales gisait la dépouille de la poissonnière.  Le sphincter rectal grotesquement dilaté et une affreuse grimace sur son visage laissaient penser qu’elle avait péri dans d’abominables souffrances.  Abandonnés à leur prostration, les deux hommes en furent sortis par le cri perçant d’un animal provenant d’un sombre recoin de la pièce.  Ils s’avancèrent prudemment et tombèrent sur leurs culs en voyant l’enfançon…

La mère fût mise en bière puis en terre et l’enfant fût baptisé Nicolas-Porno.
Les années s’écoulèrent, l’enfant grandissait (mais pas très bien, il restait petit et malingre) et le poissonnier l’élevait de son mieux avec l’aide de la vieille veuve du boulanger.  L’année du douzième anniversaire de Nicolas, son père mourut (sans doute du chagrin qui ne l’avait jamais quitté depuis la mort de sa femme) et le garçonnet fût mis en apprentissage chez le tanneur du village.  C’était un homme vil aux moeurs dissolues, il buvait plus que de raison et ne se privait pas d’aller aux putes dès qu’il sentait une pièce de 10 au fond de sa poche.  Il n’hésitait jamais à donner de la trique à Nicolas que sa constitution débile empêchait de satisfaire le tanneur (professionnellement hein!) (elle est bizarre cette phrase, non?).
Nicolas souffrait beaucoup de cette situation et tentait d’atténuer la douleur de son existence en se réfugiant dans un monde imaginaire peuplé d’acrobates, de singes, de pirates et de grosses salopes qui prennent dans le cul et qui sucent bien à fond sales putes!

Un beau jour de printemps (Nicolas devait avoir quinze ou seize ans (il n’était pas très doué en calcul)), une troupe de saltimbanques fît halte à Soignies pour la nuit (les routes étaient peu sûres à l’époque dans cette région) et décida de planter ses tipis (ben ouais, pas des tentes) dans le champ jouxtant la tannerie.  Le tanneur vit là une possibilité d’assouvir ses besoins (les saltimbanques le payaient et comptaient parmi eux quelques spécimens féminins de top qualité).  Au neuvième coup de minuit, le tanneur réveilla Nicolas (qui dormait) et lui dit :  » Vas-donc un peu voir dans laquelle de ces tentes se cache la plus belle de ces salopes!  J’ai la bite comme un marteau-piqueur, si tu me la trouves pas c’est toi qui va prendre, futur pédé! »  Apeuré par la perspective de tâter du gourdin, Nicolas s’exécuta promptement : il s’approcha silencieusement du campement endormi…  Il décida d’explorer minutieusement le campement en suivant un plan en spyrale hélicoïdale double à triolet latéral lui permettant de zyeuter dans chaque tipi en un temps record et de trouver fissa la grosse salope pour son patron.
1er tipi : Nicolas jette un oeil par la fente… C’est la couche de la femme à barbe; elle ronfle bruyamment tandis que ses deux petits chiens têtent ses mamelles avachies.  Nicolas fait : « Berk! c’est pas celle-là qu’il faut au patron. »
2ème tipi : Nicolas jette un oeil par la fente… Deux bombasses!  Deux bonnasses! Deux chaudasses! (les trapézistes de la troupe)  Elles se caressent, s’embrassent, se lèchent!  Tout ça fait beaucoup bander Nicolas; il se masturbe nerveusement en serrant bien les dents.  Mais le temps flye et il n’a toujours pas trouvé la pouffe au boss.
3ème tipi : Nicolas jette un oeil par la fente… Un fantastique spectacle s’offre à son regard; cette scène, il l’a vue cent fois dans ses rêves : un homme s’autosuce…
« Rr…rr…roa… Entre! » lui dit l’homme (c’est le contorsionniste de la bande), « Allez, approche petit » rajoute-t-il en rangeant sa clenche humide dans son calbut.
Nicolas s’approcha du gars timidement.
« Comment te nomme-t-on? » lui demanda le type.
« Nicolas-Porno est mon nom, je suis le fils du poissonnier et de la poissonnière… »
« Joli nom!  Je me nomme Michel-le-Turc-à-la-grosse-verge, mais tu peux m’appeler Michel ou le Turc ou Laverge »
M :
Tu es l’apprenti du tanneur, c’est ça?  Je t’ai vu tout à l’heure dans la cour…  Ton corps est fin et souple, tu pourrais faire un excellent contorsionniste avec un peu d’huile de coude!
N : Mais le patron il voudra jamais…
M : Ecoute, j’ai une idée.  Demain, à la première heure j’irai voir ton maître et je lui demanderai de pouvoir t’emmener avec nous.
N :
Il refusera.  Vous ne le connaissez pas, cet homme est une brute.
M :
Fais-moi confiance, va te recoucher et demain j’arrangerai tout ça.
Nicolas s’en fût et retourna à la grange dans laquelle il dormait.  Par chance, le tanneur, trop saoul, s’était endormi et Nicolas évita de ramasser une branlée.

Le lendemain matin, sur le coup du quatrième coup de seize heure, Michel-le-Turc-à-la-grosse-verge (mais on peut l’appeler Michel ou le Turc ou Laverge) s’en vint par devant le maistre tanneur pour l’y ester sa requeste.
M :
Hé ! bonjour, Monsieur du Tanneur.  Que vous êtes joli ! que vous me semblez beau !
T :
Qu’est c’qui m’veut la fiotte!  Dis moi pas des trucs comme ça à moi!
M :
Cher monsieur, je viens vous faire une offre : je vous propose de racheter votre apprenti.
T :
Pas à vendre, fous-moi le camp tarlouze.
M :
Je vous en donne cinq cents…
T :
Non, dégageeeeez!
M :
En pièces de 10!
Le tanneur sembla réfléchir un moment; « 50 pièces de 10 ça fait un sacré paquet de putes » se dit-il tout haut.
T :
Et qu’es c’vous voulez en foutre du p’tit pédé?  Tu veux lui mettre dans le pet, hein?
M :
Non non, enfin oui bien sûr…  Mais je veux surtout lui apprendre l’art de la contorsion.
T :
La con quoi?  Tu veux ma main dans ta gueule!
S’ensuivit une bagarre générale entre les deux hommes dont Michel-le-Turc-à-la-grosse-verge (mais on peut l’appeler Michel ou le Turc ou Laverge) sortit vainqueur aux points (2 juges à un) et, dans un geste d’une grande magnanimité, Michel-le-Turc-à-la-grosse-verge (mais on peut l’appeler Michel ou le Turc ou Laverge) balança les 50 pièces de 10 à la face avinée du tanneur.
C’est donc ainsi que Nicolas quitta pour la première fois Soignies.

Pendant les quelques mois qui suivirent, la troupe resta unie, parcourant le pays, de ville en village, de représentation en représentation.  Michel-le-Turc-à-la-grosse-verge (mais on peut l’appeler Michel ou le Turc ou Laverge) commença à initier Nicolas aux mystères de la contorsion acrobatique.  Nicolas était un peu déçu par les méthodes de son nouveau maître; prétextant des exercices d’assouplissement, Michel-le-Turc-à-la-grosse-verge (mais on peut l’appeler Michel ou le Turc ou Laverge) passait la plupart de son temps libre à fourrer toutes sortes d’objets (mais principalement sa queue) dans le cul du jeune homme.  Nicolas se surprenait parfois à douter de son mentor et de ses techniques et ne ressentait pas de progression réelle de ses capacités contorsiques.
Quand Michel-le-Turc-à-la-grosse-verge (mais on peut l’appeler Michel ou le Turc ou Laverge) ne s’occupait pas de son entraînement, Nicolas vaquait aux tâches ménagères (cuisine, vaisselle, repassage, nettoyage, rangement des billets de monopoly que les saltimbanques, dès qu’ils jouaient, finissaient invariablement par foutre en l’air…).  Le peu de temps libre qui lui restait, il l’employait à se polir le chinois en reluquant les trapézistes lesbiennes (qui, entre parenthèses, n’arrêtaient pas de baiser dans tous les sens, dans tous les coins et dans toutes les positions).
Au bout de 24 semaines de cette vie, Michel-le-Turc-à-la-grosse-verge (mais on peut l’appeler Michel ou le Turc ou Laverge) décida qu’il en avait marre et qu’il quittait la troupe et que c’était une bande de gros ploucs, des barakis de kermesse, des singes!
La bite sous le bras et Nicolas sous l’épaule, il traça vers la Capitale et le binôme prof-élève arriva dans la ville le quatrième jour de l’hiver.

La vie en ville se révéla très vite décevante pour Nicolas; Michel-le-Turc-à-la-grosse-verge (mais on peut l’appeler Michel ou le Turc ou Laverge) avait arrêté de travailler, commencé à boire de trop et à battre son élève.  Pire que tout, il ne lui dispensait plus aucun cours, arguant que Nicolas n’était qu’un branleur qui arriverait jamais à rien et certainement jamais à s’autosucer et qu’en plus il était moche et bête.
Un soir proche du printemps, après une journée où Nicolas avait été particulièrement bien molesté par son maître et qu’il tentait d’adoucir ses maux par le souvenir des acrobates saphiques, un événement changea sa vie à tout jamais…  En pleine branlette, Nicolas commença à ployer l’échine, la langue tendue.  Tout doucement il s’approchait de son but, il s’approchait, il s’approchait… les yeux fermés par l’effort.  Soudain, sa langue rencontra son gland; il ouvrit la bouche et sa pine glissa en elle en un clin d’oeil!  Il avait réussi!  Enfin il accomplissait son plus grand rêve.  Michel-le-Turc-à-la-grosse-verge (mais on peut l’appeler Michel ou le Turc ou Laverge) pouvait aller se faire voir, Nicolas était devenu un homme, un homme libre!
Le lendemain à l’aube, sur le coup du troisième coup de onze heure et demi, Nicolas prit sa mallette et partit à la recherche d’un travail.

Il se présenta chez un tanneur qui lui signifia poliment d’aller se faire enculer qu’il y avait pas de travail pour un maigrichon comme ça que ça le faisait gerber de voir un tel avorton et qu’il préférait se couper une jambe ou même la bite et même bien plutôt crever que d’engager Nicolas.  Abattu par cet échec, Nicolas se mit à arpenter les rues crasseuses du quartier le plus pourri de la capitale, à boire de l’alcool frelaté, à jouer et perdre son maigre argent, à dormir sous les ponts, à faire la manche, à pickpocketter, à bouffer du rat…
Au bout d’une longue heure et demi de cette vie de clochard, Nicolas réalisa que s’il voulait s’en sortir il lui fallait agir.  Prenant les choses en main, il se rendit d’un pas preste et leste vers le quartier des affaires dans un unique but : devenir la plus grande pute du pays!  C’est donc tout naturellement qu’il débarqua au « Cheval cabré avec une grosse bite en or », le club le plus select et hype de la capitale.  D’un air décidé et avec éloquance, il s’adressa à l’aubergiste.
N :
Oyé brave aubergiste, voilà une offre que vous ne pouvez refuser!
A :

N :
Me voilà!
A :

N :
J’ai l’honneur, monsieur, de vous proposer mes services!
A :
???
N :
J’ai décidé, monsieur, de devenir la plus grande pute de l’univers et votre club, monsieur, est l’écrin qui sied le mieux au diamant rose à 36 facettes que je suis!
A : …
A :
Ha! ha! ha!
Il manque de s’étouffer tellement il se marre le gars quoi, c’est ZE JOKE quoi, le petit péquenot de province qui se la ramène.
A :
Dis-donc mon garçon, t’es pas un peu sinoque des fois?  Il te manquerait pas une case là-dedans? (et il le tape bien fort dans la gueule).
Nicolas, à terre, se relève péniblement en crachant du sang et aussi un peu des dents.  L’aubergiste continue de se marrer ainsi que tous les clients et le personnel (24 personnes en tout) et même le chat il se marre.
A :
T’as aucune chance de devenir la plus grande pute de quoi que ce soit mon gars.
N :
Quoi?  C’est parce que je suis trop laid?
A :
Non, t’aurais beau être beau comme le roi du Brésil que ça y changerait que dalle!  Jamais tu lui arrivera à la cheville!
N :
De qui?
A :
Mais de Franquye pardi!  D’où tu sors toi? Du cul d’une vache?
N :
Frankie?  C’est qui ça?
A :
Non, Franquye, F-R-A-N-Q-U-Y-E, Franquye le Magnifique, Franquye le Flamboyant, Franquye aux Cinq Délices et j’en passe (et des meilleurs et des moins bons aussi).  C’est LA pute du moment.  Il est beau à faire bander un régiment de macchabées, sa bite est parfaite; on raconte qu’en la voyant le vicomte de S*** a fait une attaque et qu’il a clamsé comme ça d’un coup tellement que c’était beau et qu’il était excité…
A cet instant précis la porte de l’auberge s’ouvrit avec fracas et le brouhaha du lieu fit place à un admiratif silence religieux.

Entra Franquye, flanqué d’une demi huitaine des michetons de sa clique.
Nicolas comprit instantanément les paroles de l’aubergiste; Franquye était splendide en effet.  Contrairement à ses michetons qui portaient des tenues voyantes et presque vulgaires (fourrures, bagouzes et moonboots argentées), Franquye faisait preuve d’une élégante sobriété : un slip de bain speedo bleu marine, une paire de santiags fluos en serpent et une chaînette en or étaient les seuls effets dont se parait un corps parfaitement sculpté et délicatement hâlé.
F :
Salou lés nazés! lanca-t-il à l’assemblée.
Aussitôt, trois garçons de salle arborant la livrée officielle des bars à putes (jaquette jaune pénis et bas caca d’oie) s’empressèrent et s’affairèrent autour de lui.  Les michetons les écartèrent à coups de revers de main en les insultant et en leur crachant dessus.
F : 
Ma, qui c’ést lé nouvélle là? Il s’approcha de Nicolas, toujours entouré de ses michetons qui affichaient un air méfiant et dédaigneux.
N : 
On me nomme Nicolas-Porno et je …  Mais il fut coupé par les michetons dont les remarques commencèrent à fuser :
– Too tiny!
– Trop rough backstage!
– Pas assez trendy!
– Ugly fashionnable!
Etc.
F :
Vos guéles, les arrêta Franquye, moi lé pétit il mé plé bien; jé vois dou potentiél dans loui!
N :
Merci sire Franquye, vous me faites trop d’honneur…
F :
Toi aussi ta guéle lé péquéno, tou la férme et tou mé souis.  Jé vé faire dé toua oun véritablé puto dé louxe.
A ces mots, les michetons agrippèrent Nicolas par les cheveux, les orteils et les poils de couilles et le balancèrent dans le carrosse qui attendait devant l’entrée.

Durant les longues heures qu’il fallut à la voiture pour rejoindre le domaine de Franquye, Nicolas pensa à l’avenir radieux qui semblait s’ouvrir à lui.  Il se voyait déjà propriétaire d’un domaine viticole; arpentant les coteaux plantés de vignes, parcourant les bois giboyeux au clair de lune lors du sabbat des sorcières, s’égayant parmi les lavandières le long d’un petit ru et les troussant sans faim…
Nicolas fut enlevé à sa rêverie par un grand coup de pied dans la gueule.
F :
Débout lé péquéno, on ést arrivés à la casa mia.
La demeure de Franquye était telle son look : sobre et élégante.  Un grand jardin entourait la bâtisse principale; il était parsemé de fontaines où des angelots joufflus coursaient de belles pucelles dépoitraillées et, du goût de Nicolas, fort girondes. {
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Bref, c’était une sacrée bicoque que celle de Franquye et Nicolas essaya de ne pas se montrer trop impressionné histoire de pas passer pour encore plus plouc qu’on ne le considérait déjà.
F :
Jé vé té donner oune chambré pour la noui et domani on commencéra l’entraînément.
Fourbu par tant d’événements, Nicolas se laissa docilement guider par un domestique jusqu’à une petite chambre, propre et coquette, située juste sous les toits.  Il ne lui fallut pas plus de cinq minutes avant de tomber dans les bras de Morphée (la fille de la cuisinière, une petite cochonne comme on en fait plus de nos jours ça non madame! de notre temps c’était quand même mieux, etc.) et de la lutiner avec un certain entrain et ce malgré la fatigue (bon, d’accord, il avait tout de même une mi-molle…).
Quand il eût lâché lâ pûrée sur les lûnettes de la fîlle, il s’endôrmît.

Dès le lendemain, l’entraînement débuta.  Réveillé par un grand seau d’eau dans la gueule, Nicolas manqua de peu d’attraper une pointe de pneumonie et s’en sortit finalement avec une angine blanche.
L’initiation au métier de pute comportait deux parties distinctes : la
practis et l’ étiquettation.  La première fut rapidement assimilée par la nouvelle recrue de Franquye (qui ne s’en montra pas peu fier); Nicolas eut tôt fait en effet de maitiser les treize postures officielles (celà lui prit exactement trois jours et seize heures (les minutes et les secondes ayant été déclarées ex cathedra, seul quelques rares privilégiés avaient le droit d’en user)).
Quant à l’
étiquettation, c’était une autre paire de manches! : il fallait à l’aspirant-pute retenir pas moins de deux-cents-soixante-douze règles de conduite accompagnées de quatre théorèmes et d’une théorie de théories.  Il fallut à Nicolas beaucoup de patience et de persévérance et de coups de pied au cul pour arriver à bout de cette somme. (…) »)

Voilà donc Hannah oubliée. Elle nous laisse enfin le loisir de nous pencher sur le cas (bien plus intéressant) de Sara. Que peut-il donc lui être arrivé ? A-t-elle « disparu » ? Est-elle décédée ? S’est-elle enfuie ? Et bien je n’en ai pas la moindre idée… Je n’ai jamais eu, tout comme vous, la moindre influence sur sa destinée. Tout ce que je sais d’elle, je l’ai appris dans le journal que j’ai acheté (à prix d’or !) au vieux chasseur de la pension où elle a un temps logé. Les quelques rares pages le composant, je vous les ai livrées sans rien en modifier. Je n’ai donc pas plus que vous d’élément en ma possession me permettant de savoir ce qui lui est advenu… Peut-être même êtes-vous plus perspicace que moi et avez-vous trouvé (ou du moins deviné) ? Quoi qu’il en soit, nos espoirs de vérité reposent sur les grasses épaules de Francis Plomb et les frêles de François Mercure… On est dans la merde si vous voulez mon avis : ces deux nazes sont d’une incompétence rarement égalée. Et leur commanditaire (Jack Rouboz Sr, pour rappel), malgré sa fortune et sa renommée, n’est guère plus perspicace : ce vieux est persuadé que j’ai tué son fils. Quelle stupidité ! Comme si j’allais me faire chier à conduire un camion juste pour écraser un type attirant vaguement Hannah alors qu’il me suffit (comme je viens précisément de le faire) de la lui retirer d’un coup de clavier…

Il reste donc, si je compte bien, trois « mystères » à élucider :

1. Qui a tué Jack Rouboz Jr ? (si il s’agit effectivement d’un meurtre)

2. Quid de Sara ?

3. Francis Plomb et François Mercure ont-ils eu un jour une aventure ? (moi j’aimerais bien savoir)

Bon… j’espère qu’on aura des réponses dans le dernier chapitre.

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Commode lourde (16)

16. Journal de Sara (6)

 

Mercredi

 

J’ai rendez-vous ce soir avec Hannah, on va à un concert de Déci. Qui aurait pu croire, il y a quelques semaines encore, qu’elle deviendrait ma meilleure amie ? Pas moi en tout cas… Je n’aurais pas misé une pièce d’un demi là-dessus. Mais il faut dire que tant de choses ont changé chez moi depuis mon arrivée ici ; ma perception des gens, des événements, de tout…

Je me surprend encore parfois d’être devenue amie avec elle : elle m’insupportait tant au début avec ses airs de pimbêche ! Mais j’ai appris à la connaître, progressivement et elle s’est révélée super sympa en fait. Elle se prend jamais la tête et est toujours partante pour aller boire un coup et s’amuser. C’est de l’avoir vue en-dehors du contexte du CGD qui, j’en suis presque tout à fait persuadée, m’a fait changer d’avis à son endroit et m’a permis de l’apprécier.

Vers la moitié du deuxième quadrimestre, je me suis retrouvée en difficulté : les Leçons battaient leur plein, M. Licorne me faisait faire des tas d’heures supplémentaires à la librairie (c’était la Grande Foire du Livre) et j’avais à peine le temps de répondre aux invitations de Déci et de réaliser les divers travaux que M. Rouboz me commandait. Du coup, mes notes avaient commencé à sérieusement flancher et j’avais dû me résigner à me soumettre à une séance de remédiation avec Hannah. J’y suis allée sans aucune gaité de cœur mais je n’avais vraiment pas d’autre choix. Elle a commencé par m’interroger sur le contenu des Leçons, sur ma méthodologie et les difficultés que je rencontrais. Puis, petit à petit, presqu’insidieusement, les questions se sont faites plus personnelles, indiscrètes. Constatant mon malaise, elle m’a complètement surprise en disant : « Bon… Je vois que ça t’emmerde. Allez, on se casse d’ici et on va boire des verres ! » Elle est sortie du bureau et je l’ai machinalement suivie ; nous avons quitté le CGD pour nous retrouver dans une petite gargote toute enfumée et bruyante. Elle a su, je ne sais comment, rapidement me mettre à l’aise et nous avons entamé la conversation comme si de rien n’était. Je lui ai expliqué que je n’avais presqu’aucun contact avec les autres étudiants ; qu’ils me paraissaient pédants et immatures, obsédés par leurs notes et leur classement. « Je te comprends tout à fait, m’a dit Hannah, j’avais le même genre d’impression quand j’étais à ta place. » Mise en confiance par cette confidence, je me suis lâchée et j’ai déballé à peu près tout ce qui me passait par la tête. Je lui ai raconté ma petite vie et elle écoutait, consciencieuse, m’interrompant rarement et toujours pour me poser une question intéressante ou pour formuler une remarque pertinente (c’est à ce moment que je me suis rendue compte que je l’avais sans doute jusqu’alors méjugée). Après notre quatrième verre, j’ai laissé de côté le sujet CGD pour aborder celui du travail à la librairie de M. Licorne. A priori je n’avais pas grand-chose à en dire ; ni en bien, n en mal. Mais Hannah, tant elle avait réussi à me mettre à l’aise, m’a amenée à en parler. Je lui ai donc expliqué, alors qu’à peine quelques minutes auparavant je n’en étais pas réellement consciente, que ce boulot me faisait sérieusement chier et qu’en plus c’était très mal payé ! Nous avons bu encore pas mal de verres : Hannah a parlé d’elle (de ses recherches, de ses amis, de son chat, de ses fringues, etc.) et nous avons abordé plein d’autres sujets (des plus graves aux plus futiles, des plus personnels aux plus généraux, des plus bêtes aux plus sérieux). Nous nous sommes quittées tard dans la nuit, saoules et gaies, nous promettant de nous revoir en-dehors du cadre trop rigide du CGD dès que nous en aurions l’occasion. Et depuis ce jour, notre amitié s’est développée.

J’ai prévu de lui présenter Déci ce soir, je crois qu’il pourrait lui plaire… et puis ça me l’enlèverait un peu des pattes. Ce n’est pas que je ne l’aime pas, non, je l’aime bien, mais il est parfois un peu trop collant et par moments ça en devient presque chiant. Je le voyais régulièrement depuis notre rencontre sur la grande esplanade le jour de mon inscription : il m’invitait à chacun de ses concerts (il y en avait tout le temps !), me proposait un tas de sorties (culturelles, gastronomiques, alcooliques) et je le croisais par hasard (?) plus que souvent aux abords du CGD, de la librairie de M. Licorne ou de la pension (j’ai un moment pensé qu’il me suivait mais il m’a certifié que non…). Bref, il était un peu trop présent ; envahissant. Il n’a jamais fait preuve de grossièreté ou d’énervement ni commis de geste déplacé mais je ressentais toutefois un je ne sais quoi de malsain dans son attitude (ma tante cartomancienne aurait certainement prétendu qu’il avait « la trique mauvaise »). Soit, j’ai donc décidé d’espacer mes rencontres avec lui, prétextant (mais c’était en fait parfaitement justifié !) l’intensification du rythme des Leçons et le surcroit de travail à la librairie de M. Licorne. Il a réagi comme je pouvais m’y attendre, d’une façon très élégante et fort cool, en disant qu’il ne voulait surtout pas envahir mon espace et d’aucune manière me voir me fâcher etc. Il a très bien respecté sa parole et nous nous sommes donc vu moins souvent.

Comme je disposais dès lors de plus de temps libre et que je souhaitais accroitre mes revenus (j’y étais en fait obligée…), j’ai accepté plus souvent les propositions de travail de M. Rouboz. Il avait toujours quelque tâche à me confier (il passait plusieurs fois par semaine à la librairie, profitant des nombreuses « absences » de M. Licorne) : relecture de manuscrits, petites recherches bibliographiques, photocopies, etc. Un jour qu’il était d’humeur particulièrement joyeuse (il prétendait que j’avais fait un travail remarquable), il m’a invitée chez lui pour me remercier : « J’organise ce soir un petit diner entre amis (rien de très formel, rassurez-vous) et j’aurais une grande joie de vous y voir. Venez vers 20h00. » Je n’étais pas très tranquille à cette idée : il avait dit ça d’un air hésitant, mal assuré, les mains tremblantes en passant une langue râpeuse entre ses lèvres fines et sèches de vieux. J’étais donc sur le point de décliner quand il m’a promis de me faire rencontrer des personnes susceptibles de faire appel à mes services et qui, selon ses propres mots, payaient rubis sur l’ongle (quelle expression ringarde !). Ce fric potentiel a fait pencher la balance et j’ai accepté l’invitation. Je me suis présentée chez lui (c’était un dimanche ou peut-être un jeudi…) à 20h12 (afin de respecter les douze minutes de « retard » recommandées par les manuels) : une énorme bâtisse carrée (aussi large que haute). J’ai sonné et une domestique m’a ouvert. Je l’ai suivie le long de couloirs, halls et autres corridors. Elle m’a introduite dans un bureau richement meublé (bois précieux, cuirs de haute qualité, marbres rares) où j’ai patienté près d’un quart d’heure avant que M. Rouboz, en vêtement d’intérieur incarnat, ne fasse son entrée : « Ah ! Vous êtes là. Parfait. »

– Bonsoir, ai-je répondu. Puis-je vous demander où sont les autres convives ?

– Bah, ils ne seront probablement pas là avant 23h00…

– 23h00 !?

– Oui, oui. Mais c’est tout à fait normal… On invite les gens pour 20h00 et ils n’arrivent pas avant 23h00. Il n’y a pas de quoi s’inquiéter.

– Mais je ne m’en inquiète pas le moins du monde, ai-je menti.

– Parfait ! Cela tombe bien que vous soyez en avance ; j’ai quelque chose à vous montrer, a-t-il dit d’un ton enjoué.

Il est sorti du bureau, un large sourire aux lèvres. J’étais nerveuse et mal à l’aise. Il est revenu quelques instants plus tard, le sourire plus large encore et malicieux, une petite clé ridicule, pincée entre le pouce et l’index droits, à hauteur de son œil gauche. Il s’est approchée d’un rayonnage d’une des bibliothèques qui recouvraient les murs : « Regardez ! » Il a fait jouer un mécanisme secret et la bibliothèque s’est détachée du mur, libérant une porte très basse (elle devait faire moins d’un mètre de hauteur) ; il a introduit la petite clé ridicule dans la serrure et a tourné une série de molettes chiffrées. La porte s’est ouverte dans un « klank » lugubre et un courant d’air froid m’a fait frissonner.

– Je vous en prie, a dit M. Rouboz en m’invitant d’une révérence à franchir la porte.

– Qu’est-ce qu’il y a derrière ? ai-je demandé, inquiète.

– Allez-y, vous verrez par vous-même…

– Passez d’abord, je vous suis.

Il ne réagissait pas à ma proposition ; il avait le regard perdu, absent.

– M. Rouboz ?

– Oui ?

– Je vous suis… Passez en premier et je vous suivrai.

– Que craignez-vous ? m’a-t-il demandé.

– Je ne sais pas, c’est un peu effrayant…

– Allez-y, je vous assure qu’il n’y à rien à redouter au-delà de cette porte.

Je me suis alors penchée pour tenter de distinguer ce qui se trouvait dans cette cachette mais il y faisait si sombre qu’on n’y voyait absolument rien. Je suis restée dans cette position un long moment puis, petit à petit, la peur s’est muée en excitation ; la curiosité l’a emporté sur l’appréhension et je me suis mise à quatre pattes afin d’entrer dans la mystérieuse pièce. Comme je commençais ma reptation le long de ce qui semblait un court boyau, j’ai perçu, venant de derrière moi, un susurrement étouffé : « Continue. Vas-y petite… » (En y réfléchissant, c’est à peu près (sans aucune certitude) ce que M. Rouboz a dû dire.) Soudain, un panneau s’est illuminé devant moi, bloquant ma progression : il comportait toute une série de boutons colorés de formes variées (c’était très joli).

– Appuyez sur le bouton rose, m’a lancé M. Rouboz à travers le boyau.

J’ai obtempéré et le panneau lumineux s’est éteint et a coulissé vers le haut… Je me suis retrouvée dans une pièce cubique (d’environ 2,5 m d’arête) très faiblement éclairée. Je me suis relevée en m’appuyant sur une des faces verticales (très douce) et la lumière s’est faite plus vive (mais pas trop ; juste bien) : « Seigneur ! » Je suis restée bouche bée jusqu’à ce que M. Rouboz me rejoigne (ce qui a dû durer un bon bout de temps ; le temps pour un vieux de se glisser à quatre pattes dans un étroit passage). Le long des quatre murs s’étageaient les 349 volumes de l’œuvre complète d’Apodolphus de Metraxion (le fondateur légendaire du CGD) dans leur édition originale reliés en peau d’esclaves. C’était tout bonnement incroyable ! Ca ne pouvait être vrai ! L’Histoire racontait que ces ouvrages avaient disparu depuis le Grand Incendie de la Capitale…

– Alors ? Qu’en dites-vous ? a dit M. Rouboz, peinant à masquer sa (légitime) fierté.

– C’est tout bonnement incroyable, ai-je répondu, abasourdie.

– Mais il y a mieux, a-t-il lâché d’un air faussement décontracté.

– Mieux !?

Il a sorti de la poche de sa robe de chambre un petit boitier d’ébène et a pressé le bouton d’ivoire qui se tenait en son milieu : une trappe (jusqu’alors parfaitement indétectable) s’est ouverte et une sorte de vitrine a émergé du sol, lentement.

– Et voilà le joyau de cette collection ! a dit M. Rouboz sans parvenir cette fois à cacher son exaltation.

– Mon dieu ! Mais c’est…

– Oui, l’unique sainte relique de ce cher Apodolphus…

J’étais abasourdie (plus encore que plus haut) : M. Rouboz avait en sa possession la très sainte verge momifiée d’Apodolphus de Metraxion ! Sa valeur devait être inestimablement gigantesque…

– Comment ? Que ? Quoi ? ai-je sans doute lamentablement bafouillé.

– Vous comprendrez, chère Mademoiselle, que ce que vous voyez ici ne doit pas être révélé.

Il a posé une main sur mon épaule et a continué : « C’est fascinant, n’est-ce pas ? Je ne me lasse pas de l’admirer… » J’étais incapable du moindre geste ou parole, fascinée par la pure magie se dégageant de l’artéfact. Pétrifiée, je n’ai pu empêcher M. Rouboz de glisser sa main serpentine sous mon corsage (je portais de très jolis vêtements très chics et très chers qu’Hannah m’avait prêtés) et de me malaxer la poitrine fébrilement. Subjuguée par la sainte verge d’Apodolphus, excitée par cette découverte et prise de tendre pitié à l’égard du vieillard, je l’ai laissé me déshabiller et me coucher sur la moquette de la pièce. Il a vite fait son affaire puis m’a remerciée. Je me suis rhabillé mécaniquement, l’esprit embrumé. Nous sommes retournés dans le bureau attenant et M. Rouboz a appelé la domestique qui m’a reconduite jusqu’à la sortie…

J’ai revu M. Rouboz plusieurs fois depuis cet « incident » : ni lui ni moi n’avons jamais fait mention de ce qui s’est passé ce jour là et nos relations sont restées ce qu’elles étaient précédemment, c’est-à-dire parfaitement…

Tiens, on toque à la porte.

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Commode lourde (15)

15. L’impasse

 

Une petite pension de famille, dans une rue plutôt banale, un peu triste, de CBD. En sort un facteur. Quelques mètres plus loin il croise deux hommes qu’il salue en portant deux doigts joints à la visière de son képi et continue son chemin.

FRANÇOIS MERCURE : Tu peux me rappeler ce qu’on fait ici ?

FRANCIS PLOMB : Bon sang François ! Tu vas me demander ça combien de fois ?

FRANÇOIS MERCURE : Jusqu’à ce que j’obtienne une réponse convenable.

FRANCIS PLOMB : L’instinct, l’intuition, le feeling, le métier, l’expérience, la déduction… Appelle ça comme tu veux, je m’en fous.

FRANÇOIS MERCURE : Je dirais que c’est du grand n’importe quoi…

Les deux détectives pénètrent dans le hall d’entrée de la pension. Derrière le comptoir, une femme d’un certain âge, parfaitement quelconque et dans un coin de la pièce, un vieillard assoupi en tenue de chasseur.

FRANCIS PLOMB : Bonjour Madame… (Il laisse trainer des points de suspension afin d’inciter la femme à lui révéler son nom.)

FEMME : Mme Groβ, enchantée. Que puis-je pour vous Messieurs ?

FRANCIS PLOMB : Francis Plomb (puis, désignant son collègue) & François Mercure, détectives.

MME GROβ : En quoi puis-je vous être utile ?

FRANÇOIS MERCURE : Nous enquêtons sur une affaire de la plus haute importance et votre aide, nous en sommes convaincus, nous est d’une impérieuse préciosité.

MME GROβ (étonnée mais flattée) : Ah ? Très bien. Je suis toute à vous. Voulez-vous un verre de liqueur ? (Elle sort de sous le comptoir une bouteille et la dépose dessus.)

FRANÇOIS MERCURE : Non merci Madame, jamais pendant le service.

FRANCIS PLOMB (le contredisant) : Mais avec plaisir chère Madame ; servez-nous donc deux verres.

Mme Groβ prend deux verres qui viennent rejoindre celui qu’elle a entamé avec le facteur. Elle les remplit à ras bord. Francis Plomb en attrape un qu’il vide d’un trait. François Mercure, à peine surpris, l’imite, suivi de Mme Groβ.

FRANCIS PLOMB : Excellent !

FRANÇOIS MERCURE : Ca a du corps…

FRANCIS PLOMB : Un arôme…

FRANÇOIS MERCURE : Une couleur…

FRANCIS PLOMB : Un bouquet…

FRANÇOIS MERCURE : Epatant, vraiment !

MME GROβ : Un petit deuxième ?

FRANCIS PLOMB : Volontiers.

FRANÇOIS MERCURE : Avec joie.

Mme Groβ ressert trois verres de liqueur qui se vident aussi vite qu’ils se sont remplis.

FRANCIS PLOMB : Quel régal !

FRANÇOIS MERCURE : Fantastique…

FRANCIS PLOMB : Un pur bonheur…

FRANÇOIS MERCURE : Le petit Jésus en culottes de velours…

FRANCIS PLOMB (manquant de s’étouffer) : Bordel François, surveille ton langage !

FRANÇOIS MERCURE (enchaîne rapidement) : Mme Groβ, pourriez-vous répondre à quelques unes de nos questions ?

MME GROβ : Mais très certainement, je vous en prie.

FRANCIS PLOMB : Connaissez-vous cet homme ? (Il lui montre la photographie représentant le portrait d’un jeune homme plutôt pas mal, presque beau (un air de noblesse et de sérénité émane de son regard profond et intelligent).)

MME GROβ (examine attentivement la photo) : Non, désolée… Qui est-ce ?

FRANÇOIS MERCURE : Un dangereux criminel : recherché pour homicides multiples, vols avec violence et commerce illégal de chiens.

MME GROβ : Mon dieu ! C’est affreux ! Pauvres petits chiens !

FRANCIS PLOMB : Ce type est une ordure… Aidez-nous à le coincer.

FRANÇOIS MERCURE : Connaissez-vous une dénommée Hannah ?

MME GROβ : Hannah ? Oui, ce nom me dit quelque chose… Mais je suis désolée, je ne me souviens pas où l’avoir entendu.

FRANCIS PLOMB : Fâcheux…

FRANÇOIS MERCURE : Embêtant…

FRANCIS PLOMB : Ennuyeux…

FRANÇOIS MERCURE : Embêtant…

FRANCIS PLOMB : Nous avons tout lieu de croire qu’une de vos pensionnaires, une dénommée Sara, est (ou était) en relation avec cette susmentionnée Hannah.

MME GROβ : Sara, oui, une charmante petite. Mais ça fait des semaines qu’elle a disparu sans laisser de trace… Comme ça, d’un coup. J’ai d’ailleurs trouvé ça très étrange…

FRANÇOIS MERCURE : Nous sommes « avisés » de cette situation chère Madame. Mais aurait-elle laissé une note, un mot ou autre chose ?

MME GROβ : Non, rien du tout. A part toutes ses affaires bien sûr…

FRANCIS PLOMB : Ses affaires !? Peut-on les voir ?

MME GROβ : Ah non. J’ai tout mis au clou l’autre jour. Mais ça n’a même pas suffi à me dédommager pour la dernière semaine qu’elle n’a pas payée.

FRANÇOIS MERCURE (songeur) : Hum, hum…

FRANCIS PLOMB : Y avait-il, parmi ses effets personnels, des lettres ou un journal ? Quelque chose qui pourrait nous aider ?

MME GROβ : Je n’en sais rien, c’est lui (elle désigne du menton le vieux chasseur endormi) qui s’en est occupé.

FRANÇOIS MERCURE : Pouvons-nous le questionner ?

MME GROβ : Si vous attendez quelques minutes ; il aura bientôt fini sa sieste. Voulez-vous une autre liqueur pour patienter ?

FRANCIS PLOMB : Avec plaisir !

FRANÇOIS MERCURE : Pouvez-vous m’indiquer les toilettes s’il-vous-plait ?

MME GROβ : Mais très certainement. Prenez le couloir, c’est la deuxième porte à gauche.

FRANÇOIS MERCURE : Euh ?

MME GROβ : Oui ?

FRANÇOIS MERCURE : Vous auriez un magazine par hasard ?

MME GROβ : Il y en a toute une pile dans les cabinets.

FRANÇOIS MERCURE : Super ! (Il disparaît)

MME GROβ (à Francis Plomb, lui servant un quatrième verre de liqueur) : Ca doit être vraiment passionnant votre travail… Mais c’est risqué, non ? Vous devez être très courageux et très fort aussi…

FRANCIS PLOMB (ne perdant pas une si belle occasion de se la péter) : Vous avez tout à fait raison, c’est un métier qui n’est pas à la portée du premier imbécile venu. Il faut en avoir dans le pantalon et, croyez-moi, j’en ai !

MME GROβ (servant une cinquième liqueur à Francis Plomb) : Oh mais je n’en doute pas une seule seconde. Vous devez être sacrément équipé pour pouvoir faire un tel travail.

FRANCIS PLOMB : C’est certain… Diable ! Cette liqueur est un vrai délice…

MME GROβ : Je vous ressers ?

FRANCIS PLOMB : Je ne dis pas non !

Mme Groβ lui file un sixième verre. Ils discutent. Francis Plomb continue à rouler des mécaniques et Mme Groβ absorbe chacune de ses paroles. Elle lui donne une septième liqueur puis une huitième dans la foulée.

FRANCIS PLOMB (un peu gris) : Si je n’étais pas en service, je vous aurais bien invitée à sortir.

MME GROβ (légèrement pompette) : J’allais dire la même chose…

FRANCIS PLOMB : C’est sans doute l’alcool qui parle mais vos yeux sont magnifiques.

MME GROβ (pouffotte) : Hi, hi. Flatteur.

FRANCIS PLOMB : Dès que j’aurai bouclé cette affaire, je vous emmène danser !

MME GROβ : Ce sera avec une joie non feinte que j’accepterai.

FRANCIS PLOMB : Vous avez de la chance ; grâce à mon talent, cette affaire sera conclue en moins de deux. Et nous irons danser !

MME GROβ : Danser !

FRANÇOIS MERCURE (faisant son retour) : Alors ? Il est réveillé le vieux ?

Francis Plomb et Mme Groβ se retournent vers lui dans un même mouvement : un sourire niais sur leurs visages rosis.

FRANÇOIS MERCURE : Oh, oh ! Ca fricote sec ici !

FRANCIS PLOMB : François ton…

FRANÇOIS MERCURE (l’interrompant) : Oui, oui. Je sais. Mon langage. (Puis) Bon, on l’interroge ce vieux chasseur ?

MME GROβ (confuse) : Je vais le réveiller.

FRANCIS PLOMB : Ca ne risque pas de le déranger ?

MME GROβ : Si, si. Mais tant pis. D’ailleurs il a assez dormi comme ça. (Elle s’approche de lui et le secoue vivement) Réveille-toi ! C’est l’heure ! Allez, debout là-dedans !

Le vieux chasseur s’éveille, saisi et hagard.

MME GROβ : Ces Messieurs ont des questions à te poser à propos de la petite Sara. Tu sais, celle dont tu as porté les affaires au clou l’autre jour.

FRANÇOIS MERCURE (à Francis Plomb) : Il n’a pas l’air très… normal, non ?

FRANCIS PLOMB : Et après ?

FRANÇOIS MERCURE : Oh rien… Je me demande juste s’il est fiable.

FRANCIS PLOMB : Depuis quand tu te poses ce genre de question, toi ?

Entretemps le vieux chasseur s’est levé et s’est installé derrière le comptoir aux côtés de Mme Groβ.

MME GROβ (aux deux détectives) : Je dois vous prévenir : il est muet. Il ne s’exprime que par gestes et sons inarticulés gutturaux ; je vais faire de mon mieux pour tenter de vous traduire ça.

FRANCIS PLOMB : Très bien, commençons. (Puis, au vieux chasseur) Vous avez été porter les affaires de Sara au clou, c’est bien cela ? Y avait-il, parmi celles-ci, des lettres ou un journal ou quelque chose dans le genre ?

VIEUX CHASSEUR (grogne et gesticule) : …

FRANÇOIS MERCURE (à Mme Groβ) : Qu’est-ce qu’il raconte ?

MME GROβ : Il dit que dans les affaires de Sara il y avait un carnet où étaient écrits des mots.

FRANCIS PLOMB : Il l’a lu ?

MME GROβ : Il ne sait pas lire…

FRANÇOIS MERCURE : Zut !

VIEUX CHASSEUR (grommelle et gigote) : …

FRANCIS PLOMB : Qu’est-ce qu’il dit ?

MME GROβ : Il dit qu’il a vendu le carnet à un homme dans la rue. Un homme l’a abordé alors qu’il allait porter les affaires de Sara au clou. Cet homme lui a proposé une forte somme d’argent pour le carnet et il a accepté. (Puis, au vieux chasseur) Et qu’en as-tu fait de cet argent ? Voleur !

VIEUX CHASSEUR (marmonne en secouant ses mains) : …

FRANCIS PLOMB : Désolé de vous interrompre mais nous ne sommes pas intéressés par vos petites affaires personnelles.

FRANÇOIS MERCURE (renchérit) : Ouais, rien à foutre !

FRANCIS PLOMB : A-t-il une description à nous donner ?

FRANÇOIS MERCURE (pris d’une soudaine inspiration) : Etait-ce un jeune type blondasse ?

VIEUX CHASSEUR (éructe quelques sons en se tortillant) : …

MME GROβ : Non, plutôt un grand brun distingué.

FRANCIS PLOMB (ironique) : Vachement utile comme description.

FRANÇOIS MERCURE (renchérit) : Ouais, c’est vraiment nul !

FRANCIS PLOMB : Pouvons-nous voir la chambre que cette Sara occupait ?

MME GROβ : C’est qu’il y a un nouveau locataire… (Puis, au vieux chasseur) Va voir si le Monsieur de la sept est réveillé et si ça ne le dérange pas que ces Messieurs visitent la chambre.

Le vieux chasseur, dans une extrême lenteur, quitte sa place derrière le comptoir et entreprend la montée des escaliers.

MME GROβ : Ca risque de prendre un bon bout de temps… Une petite liqueur pour patienter ?

FRANCIS PLOMB : Certainement !

FRANÇOIS MERCURE : Je passe mon tour, désolé. (Puis, chuchotant à l’oreille de Francis Plomb) Si tu veux, je m’éclipse aux toilettes, histoire de te laisser le champ libre : t’as un sacré ticket avec la vieille.

FRANCIS PLOMB (à François Mercure, sur le même ton) : La ferme, crétin !

MME GROβ (servant deux verres) : A votre bonne santé Messieurs !

Au bout de vingt minutes, le vieux chasseur n’est toujours pas de retour. François Mercure s’impatientant et, écœuré par la parade amoureuse de Mme Groβ, va s’enfermer dans les waters pour lire des magazines. Il s’endort sur les cabinets quand il est brusquement réveillé par un énorme fracas : il se lève vivement, remonte son pantalon et surgit dans le hall d’entrée où il trouve le vieux chasseur recroquevillé en bas des marches et Francis Plomb et Mme Groβ qui se marrent comme des bœufs.

FRANÇOIS MERCURE : Qu’est-ce qu’il s’est passé !?

FRANCIS PLOMB : Ha, ha, ha !

MME GROβ : Hi, hi, hi !

FRANÇOIS MERCURE (se penche vers le vieux chasseur) : Monsieur ? Vous allez bien ? (Le vieux chasseur se relève péniblement.)

MME GROβ : Hi, hi, hi !

FRANCIS PLOMB : Ha, ha, ha !

FRANÇOIS MERCURE (contaminé) : Ho, ho, ho !

FRANCIS PLOMB : Ha, ha, ha !

MME GROβ : Hi, hi, hi !

VIEUX CHASSEUR : …

MME GROβ : Oh, ça fait du bien de rire comme ça…

FRANCIS PLOMB : Tu aurais du voir François… Comment il s’est étalé !

MME GROβ : Hi, hi, hi !

FRANÇOIS MERCURE (d’un coup très sérieux) : Bon. On va la voir cette chambre ?

FRANCIS PLOMB (les larmes aux yeux) : Hein ? Quoi ?

FRANÇOIS MERCURE : La chambre !

FRANCIS PLOMB : Ah oui, la chambre. Allons-y.

Les deux détectives suivent le vieux chasseur dans les escaliers ; ça dure très très longtemps avant qu’ils n’arrivent sur le pallier du quatrième. Ils jettent un rapide coup d’œil dans la pièce (laissée vide par le locataire qui s’était en fait fait la malle pendant la nuit), sans remarquer la furtive silhouette noire qui s’est glissée par la fenêtre.

FRANCIS PLOMB : On trouvera rien ici.

FRANÇOIS MERCURE : Non…

FRANCIS PLOMB : Bordel de merde ! Fait chier !

FRANÇOIS MERCURE (désabusé) : Ouais… On tourne en rond…

FRANCIS PLOMB (résigné) : Bon… Ben on se casse alors…

Ils redescendent les escaliers quand ils entendent un gémissement derrière eux. Le vieux chasseur les a rattrapés et leur tend la photographie représentant le portrait d’un jeune homme plutôt pas mal, presque beau (un air de noblesse et de sérénité émane de son regard profond et intelligent) en gesticulant frénétiquement.

FRANCIS PLOMB : Ah, merci… On a dû la laisser tomber.

FRANÇOIS MERCURE : Oui, merci.

Le vieux chasseur continue à s’agiter, tapote la photo de son index, s’arrache les cheveux, montre les dents.

FRANÇOIS MERCURE : Mais qu’est-ce qu’il veut ?

FRANCIS PLOMB (qui, pour rappel, s’est enfilé une dizaine de liqueurs) : Qu’est-ce que tu veux !? Connard ! Tu me cherches ? Je vais te péter ta gueule, moi !

FRANÇOIS MERCURE : Laisse tomber Francis. Viens, on rentre.

FRANCIS PLOMB (grommelle) : Vieux fils de pute… connard… tarlouze de merde… ordure d’enfoiré de pute…

Les deux détectives quittent la pension.

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Commode lourde (14)

14. Chapitre sexe

 

Une fois n’est pas coutume, Hannah ne passait pas le mardi au CGD : elle s’était réveillée tôt ce matin-là et avait appelé le secrétariat pour prévenir qu’elle ne viendrait pas en raison d’une grave indigestion. Elle avait profité de ce court état de veille pour se réhydrater quelque peu avant d’aller se recoucher pour quelques heures de sommeil bien nécessaires.

Elle se réveilla (presque) tout à fait vers 13h17, vaseuse. De brefs flashbacks éclairaient sporadiquement sa mémoire obscurcie par les excès de la veille ; elle n’avait pas trop de difficulté à se remémorer le début de la soirée : sa rencontre avec Catherine, leur arrivée à la fête, la conversation avec Jack dans les toilettes… Mais la suite revêtait un aspect beaucoup plus brumeux ; flou et entrecoupé de vides.

Elle se leva, toute habillée ( !). Il fallait qu’elle ait été très saoule pour se coucher non nue. Elle jeta ses vêtements, empuantis par l’alcool et l’odeur du tabac froid et teintés d’un sous-jacent fumet suret de vomi, dans un recoin de la chambre et se dirigea vers la salle de bain. Sur le trajet, elle se cogna violemment le gros orteil droit sur le bas d’une porte ouverte : « Aïe ! Putain de bite à queue ! » Le choc, on ne sait comment ni pourquoi, lui fit se souvenir d’un morceau de la soirée : elle se rappela avoir aidé Catherine à sortir des toilettes et avoir eu l’intention de la ramener chez elle.

Hannah se fit couler un bon bain bien chaud et s’y coula ; les pores dilatés de sa peau couleur miel de cactus laissaient s’épancher une sueur épaisse drainant hors de son charmant organisme les toxines emmagasinées. Elle s’endormait doucement quand elle eut la soudaine impression de brusquement tomber en arrière. La subite poussée d’adrénaline en résultant la réveilla et un nouveau souvenir lui vint à l’esprit : elle et Catherine au milieu de la piste de danse, entourées de jeunes hommes et femmes les encourageant et de larbins nains leur tendant coupes sur coupes. Hannah fit un effort de concentration et d’autres images firent leur apparition : Catherine, à demi nue, dansant comme une marionnette sous mésamphétamine sur un podium cerclé de gros types vicelards ; elle-même, guère plus habillée, affalée dans un canapé en cuir noir, un poulpe visqueux (ou une pieuvre peut-être) parcourant son corps dans une lente reptation… Hannah tenta de mettre un terme à ces désagréables pensées en entonnant, à tue-tête, un air à la mode. Malheureusement pour elle, cette chanson, au lieu de l’en détourner, la replongea dans la nuit : elle et Catherine (complètement nues cette fois) couchées à même le sol de marbre froid et humide, un incroyable brouhaha les étouffant… puis, au loin, une tache d’un blanc intense et lumineux se rapprochant progressivement… Jack, flanqué de quatre larbins nains armés de gourdins (et n’hésitant pas à en faire usage), se frayant un passage à travers la foule compacte. Hannah se souvint alors lui avoir souri, être soulevée du sol (de quelques centimètres à peine) puis transportée hors des lieux : « Mon dieu ! Je devais être vraiment trop soûle… »

Le téléphone sonna. Hannah n’avait pas l’énergie de s’extraire de ce si bon bain si chaud : « Zlatan Ibrahimovic, allez décrocher ! » Mais le chat n’était pas là. Le téléphone, sans montrer le moindre respect, continuait de sonner : « Si ça sonne encore six fois, je me lève et je vais décrocher. » Le téléphone, gentiment, s’arrêta de sonner : « Ben voilà, il a arrêté de sonner. »

Puis, quelques secondes plus tard : « Jack ! quel bel homme… » Et Hannah se prit à fantasmer : lui, grand et fort, volant à son secours, tranchant, d’une longue et fière rapière, les têtes, bras, jambes et autres membres des serfs et manants égrillards la retenant, elle, captive… Lui, la délivrant du péril, l’emportant, la réconfortant, l’embrassant, d’abord doucement puis plus intensément, déchirant ses vêtements, l’agrippant fermement, la prenant, la pénétrant, d’abord par devant puis par le fondement, la souillant, la … Hannah n’était plus qu’à deux doigts du soulagement quand un gros plouf ! la (soustraire ne se conjugue pas au passé simple, c’est fâcheux) de son activité : Zlatan Ibrahimovic avait sauté dans le bain !

ZLATAN IBRAHIMOVIC (in petto) : Ces humains ! Quelle sexualité déviante… Une espèce de dégénérés.

HANNAH ( super effrayée) : Ah ! Qu’est-ce que c’est !? (Puis, voyant Zlatan Ibrahimovic) Mais que faites-vous là, imbécile ?

ZLATAN IBRAHIMOVIC (in petto) : Dieu qu’elle est bête. Regarde sur ton sein gauche ! (Et il accompagna sa pensée d’une petite tape sur le téton d’Hannah)

HANNAH : Aïe ! Mais qu’est-ce que vous voulez à la fin !?

Elle attrapa le chat et le déposa sur le tapis de bain. En accomplissant ce geste (d’une manière très élégante, remplie de grâce et de sensualité ; mais est-il bien nécessaire de le préciser ?), elle sentit se décoller de son sein un bout de papier pas trop mouillé : « C’est quoi ce truc ? » Elle s’empara du carton et constata qu’il s’agissait de la carte de visite de Jack ! (quel bel homme…) qui, heureusement, était faite d’un matériau hydrofugé et particulièrement hydrophobe et qui de plus arborait une typographie imposant le respect autant qu’elle était sobre (c’est-à-dire pas du tout).

HANNAH (à Zlatan Ibrahimovic qui s’ébrouait et se toilettait sur le tapis de bain) : Oh ! Merci le chat. Je ne me souvenais même pas que Jack ! (quel bel homme…) me l’avait donnée…

ZLATAN IBRAHIMOVIC (in petto) : Mais qu’est-ce que tu deviendrais sans moi ?

Grâce à l’ingénieuse intervention de Zlatan Ibrahimovic, Hannah allait pouvoir passer du phantasme à la réalité. Elle sorti de son si bon bain si chaud, enfila un peignoir et se précipita vers le téléphone qui ne sonnait pas. Bien évidemment, le peignoir, dans sa course, se désolidarisa de son corps pour aller rejoindre le plancher et c’est donc nue qu’elle composa le numéro de Jack ! (quel bel homme…). Trois sonneries retentirent avant qu’une voix de femme ne réponde.

VOIX DE FEMME : Allo ?

HANNAH : Bonjour, suis-je bien chez M. Jack Rouboz Jr ?

VOIX DE FEMME : Oui, c’est bien ici.

HANNAH : Pourrais-je lui parler s’il-vous-plaît.

VOIX DE FEMME : Vous pourriez, en effet.

HANNAH : Pouvez-vous me le passer ?

VOIX DE FEMME : Vous pourriez lui parler, disais-je, mais, si vous ne m’aviez pas interrompue, vous m’auriez permis de vous préciser que Monsieur est sorti et que, par conséquent, vous pourriez lui parler dès son retour.

HANNAH : Pardonnez-moi de vous avoir interrompue. Savez-vous quand il sera rentré ?

VOIX DE FEMME : Monsieur n’a pas l’habitude de me faire part avec précision de ses horaires.

HANNAH (un peu déçue) : Ah… Très bien…

VOIX DE FEMME : Mais, si vous ne m’aviez pas interrompue, vous m’auriez permis de vous préciser que Monsieur à pour habitude de rentrer à 19h00 le mardi.

HANNAH (réfléchit avant de proposer) : Pouvez-vous lui transmettre un message ?

VOIX DE FEMME (hautaine) : Mais certainement. Que dois-je lui faire savoir ?

HANNAH : Dites-lui qu’Hannah se présentera chez lui à 19h00 précises.

VOIX DE FEMME (exagérément obséquieuse) : Mais certainement Madame. Je ne manquerai pas de lui faire parvenir votre message Madame. Bonne soirée Madame.

HANNAH : Merci. Bonne soirée.

Hannah raccrocha. Il lui restait plusieurs heures pour se préparer. Sa première préoccupation était de se trouver une tenue vestimentaire adéquate. Elle hésitait entre différentes options, pas tout à fait sûre de l’effet qu’elle voulait provoquer : éblouir au risque d’aveugler ? Exciter et peut-être provoquer un épanchement trop précoce ? Rassurer et endormir ? Intriguer et décevoir ? C’était vachement dur et Hannah pensa pleurer. Elle se ressaisit juste à temps et, se rappelant les conseils de sa bonne marraine, se décida pour un méli-mélo de caractéristiques : soumission, provocation, sagesse, appétence, distraction, ingénuité, formalisme, etc. Cela se traduisit par les choix suivants : vieux t-shirt publicitaire élargi (vantant les mérites d’une ancienne chaîne de sex-shops Capitaliens), pantalon de lycra motif zèbre maintenu par une paire de bretelles de cuir vieux-rouge (dont celle de gauche négligemment défaite), boléro en poil de dingo anthracite, escarpins violets, bracelets d’ivoire de morse ouvragés, bague « œil-de-calmar » (hyper tendance) à l’index droit, collier d’oreilles de serpents momifiées, parfum de synthèse. Rassurée par l’excellente sélection qu’elle venait d’opérer, elle était à peu près sûre de ne pas pouvoir décevoir Jack ! (quel bel homme…) et elle ne pensait pas se tromper en affirmant haut et fort : « Avec ça, ça va chier ! »

Comme il y avait encore pas mal de temps à tuer avant le rendez-vous, Hannah se mit à penser à ce qu’elle pouvait bien faire d’ici là : cinéma ? bowling ? piscine ? manger ! « Mon dieu ! Que je suis sotte ! Ce Jack ! (quel bel homme…) m’obsède tant que j’en aurais presqu’oublié ma faim… » Elle commanda donc à manger. Vingt à quarante minutes plus tard, le livreur toqua à la porte. Hannah lui ouvrit et sa nudité ne parut pas le troubler. Il se contenta de déposer les deux caisses de carton et d’encaisser le fric tout en oubliant pas de prétexter un manque de monnaie afin d’extorquer à Hannah un pourboire exorbitant.

Le livreur parti, Hannah s’attabla dans la cuisine et ouvrit la première boîte ; elle en sortit plusieurs Tupperwares® de formes et de volumes variés contenant : une petite purée de maïs à la salicorne, des oreilles de singe panées, des gencives de loutre à l’ail, un demi foie de crocodile pimenté, un sandwich jambon-beurre, une soupe de queue d’éléphant, des chicons au gratin, des petits pois marinés dans de l’encre de seiche, un crumble de cervelle de moineau, une tête de linotte et une part de tarte au riz. Elle mangea tout ça puis ouvrit le second carton dont elle (et bien, extraire ne veut pas non plus se conjuguer au passé simple…) une quantité à peu près semblable de Tupperwares® contenant : un petit potage de petits crins de petits poneys (délicieux !), des langues de tapirs braisées (succulentes !), un coude de labrador à la graisse de dauphin (un régal !), du tiramisu aux spéculoos (vachement bon !), du corail bouilli au jus de limace aigre-doux (une vraie réussite !), un oiseau sans tête à la bière d’abbaye (merveilleux !), des fraises bien rouges et juteuses (parfaites !), des cœurs de vipères sautés à l’aneth (divins !) et une tranche de saumon fumé (parfaitement dégueulasse !).

Repue juste comme il faut, Hannah s’octroya une cigarette et un café serrés. Elle tapa la tranche de saumon fumé qu’elle n’avait pas mangée dans la gamelle du chat, (décidément, c’est quoi cette langue de m**** où on peut non plus pas foutre foutre au passé simple !?) les Tupperwares® dans la poubelle et alla se vautrer dans le sofa avec une pile de magazines de mode.

15h21 : « Qu’est-ce que je m’emmerde… »

15h.32 : « Que le temps passe lentement… »

14h12 : « Hein !? Qu’est-ce qui se passe ? »

16h12 : « Ah ! Ca va, ça avance. »

19h17 : « Mince, j’ai dû m’assoupir… »

Il ne restait à Hannah que moins dix-sept minutes pour arriver à temps à son rendez-vous : ennuyeux… Sans paniquer, elle enfila les vêtements qu’elle avait préalablement choisis, vérifia que le gaz était bien coupé, lança de loin une bise à Zlatan Ibrahimovic qui dormait sans doute quelque part dans l’appartement et sortit en trombe.

En entrant dans le tram W, elle adressa un large sourire au conducteur en compostant son ticket et lui glissa au creux de l’oreille en se penchant (dévoilant ainsi, d’une manière tout à fait intentionnelle, par la large encolure de son t-shirt, une ravissante paire de magnifiques jolis seins de taille juste comme il faut) : « Je suis affreusement en retard… Pourriez-vous oublier de stopper votre véhicule à un ou deux arrêts ? » Sorti de son marasme habituel par ce susurrement rempli de promesses qui, il le savait au fond de lui-même, ne seraient pourtant jamais tenues, le conducteur mit les gaz, appuya sur le champignon, grilla tous les feux rouges et autres signalisations, ne fit halte à aucun arrêt puis, brusquement, enclencha le système de freinage de secours pour arrêter le tram pile poil devant la maison de Jack ! (quel bel homme…). Hannah descendit du véhicule, un dandinement du cul en guise de remerciement à l’intrépide fonctionnaire des Transports Capitaliens Urbains qui en fut comblé (ce qui lui permit, pendant sept secondes tout au plus, de ne pas penser aux terribles conséquences de ses actes irréfléchis).

Grâce à ce rapide voyage, Hannah put constater qu’elle n’avait finalement que douze minutes de retard, ce qui est fort proche de ce que l’on enseigne dans les manuels de savoir-vivre destinés aux jeunes filles. La maison de Jack ! (quel bel homme…) se dressait devant elle (ou s’étalait ? c’était impossible à dire, elle paraissait aussi haute que large depuis la rue ; avec plein de fenêtres, de balconnets, de fioritures de toutes sortes ; si ça se trouve il y avait même des gargouilles…). Hannah tira la bobinette et la chevillette chut. Une femme d’âge indéterminé , habillée d’une tenue de gouvernante de niveau 17, ouvrit la porte (une porte toute bête en bois mal peint de blanc qui faisait un peu tache sur cette si belle façade, quel dommage !).

GOUVERNANTE : Bonsoir Madame.

HANNAH : Bonsoir, je suis attendue par M. Rouboz.

GOUVERNANTE : Monsieur est sorti.

HANNAH (un peu décontenancée mais pas trop) : Ah ? On m’a pourtant certifié qu’il serait bien ici.

GOUVERNANTE (ne laissant pas s’installer le quiproquo) : Mille excuses Madame. Vous devez certainement faire référence à M. Le Dauphin.

HANNAH : Le Dauphin ?

GOUVERNANTE : M. Jack Rouboz Jr si vous préférez.

HANNAH : Oui ! Lui !

GOUVERNANTE : Très bien, veuillez me suivre, je vous conduis à ses appartements.

Hannah emboîta le pas de la gouvernante. Elles traversèrent un immense hall décoré d’armures, de trophées de chasse impressionnants (dont une baleine à bosse naturalisée suspendue au plafond), d’œuvres d’art raffinées et de tout un tas d’autres brols. Elles empruntèrent un escalier en colimaçon puis un ascenseur puis un tapis roulant puis un escalator puis un monte-charge puis une échelle puis une corde à nœuds puis encore un escalier avant de se retrouver devant une porte métallique ronde de dimension modeste. « Veuillez pénétrer dans le sas, Madame, dit la gouvernante ». Hannah s’exécuta sans se faire prier et la porte se referma derrière elle. Sur un petit boîtier suspendu s’éteignit une lumière rouge et s’alluma une verte et la deuxième porte s’ouvrit et libéra le passage. Hannah se retrouva dans une grotte au sol immergé. Une barque de bois surmontée d’un passeur semblait l’y attendre. Elle embarqua et le passeur (silencieux) propulsa l’embarcation à l’aide d’une longue gaffe à travers une série de diverticules éclairés ça et là par des torches bruyantes. La barque accosta près d’une nouvelle porte ; le passeur invita Hannah à descendre. Un tas d’autres trucs se passèrent encore avant qu’elle ne débouche finalement dans un grand jardin à ciel ouvert (il devait faire la quasi-totalité de la surface du toit de la maison), baigné d’une lumière divine (en fait d’énormes spots surpuissants), agrémenté de plantes aussi rares que sublimes et peuplé de petits animaux tout mignons (des petits écureuils dans les arbres, des petits oiseaux dans l’air, des petites grenouilles dans les bassins, des petits lombrics dans la terre, etc.). Au milieu de ce tableau édénique, un kiosque d’un blanc fluorescent. Hannah s’approcha et il était là : Jack ! (quel bel homme…). Vêtu tel un demi-dieu, allongé fièrement sur un Récamier, un jeune dodo sommeillant paisiblement sur son pectoral gauche idéalement musclé.

JACK ! (QUEL BEL HOMME…) : Hannah ! C’est un ravissement de vous voir ici. Que dis-je, un enchantement !

HANNAH : Pareil pour moi.

JACK ! (QUEL BEL HOMME…) : Mais je vous en prie, installez-vous donc. (Il lui indiqua le Récamier jumeau du sien et disposé à côté.)

HANNAH : C’est très chouette ici. Mais ça doit être casse-couille pour l’entretien, non ?

JACK ! (QUEL BEL HOMME…) : J’ai heureusement la chance de pouvoir me permettre de ne pas devoir me soucier de telles… contingences.

HANNAH : Bon, on baise ?

JACK ! (QUEL BEL HOMME…) : Ok !

Hannah se rapprocha de Jack ! (quel bel homme…) et l’enfourcha. Elle glissa sa main gauche sous sa toge et s’exclama : « Mon dieu ! mais elle est énorme ! »

JACK ! (QUEL BEL HOMME…) : Euh… Ca c’est mon portefeuille…

HANNAH (déçue) : Ah…

Jack ! (quel bel homme…) se saisit de la main d’Hannah et la guida au bon endroit.

HANNAH (rassurée) : Oh mais ça va, elle est de taille tout à fait… raisonnable.

JACK ! (QUEL BEL HOMME…) : Ben ouais.

Hannah abaissa son pantalon de lycra motif zèbre et enfourna le sexe mi-mou dans sa bouche. Puis, comme il avait atteint une rigidité suffisante, elle l’introduisit dans son vagin et adopta un mouvement de coulissement. S’ensuivit une kyrielle de positions plus ou moins acrobatiques, de geignements, de grognements, de grossièretés, de glapissements, de quelques gargouillis et d’un gazouillis du jeune dodo mortellement écrasé entre les deux corps en rut. Trois minutes après l’ouverture des débats, Jack ! (quel bel homme…) lâcha la purée entre la ravissante paire de magnifiques jolis seins de taille juste comme il faut d’Hannah.

JACK ! (QUEL BEL HOMME…) : Alors, heureuse ?

HANNAH : T’as pas une clope ?

JACK ! (QUEL BEL HOMME…) : Un cigarillo, ça te va ?

HANNAH : Tu pourrais m’apporter un verre d’eau ?

JACK ! (QUEL BEL HOMME…) : Il est quelle heure ?

HANNAH : Je dois y aller, tu me raccompagnes ?

JACK ! (QUEL BEL HOMME…) : Tu veux pas rester encore un peu ?

Hannah ne se rhabilla pas (parce qu’elle ne s’était pas déshabillée ; faire l’amour nue, quelle idée insensée !), ne se releva pas (puisqu’elle était déjà debout) et se dirigea vers la sortie, suivie de Jack ! (quel bel homme…) qui, n’étant pas parvenu à la convaincre de rester plus longtemps, s’était résigné à la raccompagner afin de pouvoir jouir de sa présence quelques instants supplémentaires.

Ils fumèrent une cigarette à l’arrêt du tram W. Le tram W arriva. Hannah monta à l’arrière du tram W. Le tram W démarra. Jack ! (quel bel homme…) se déplaça vers le milieu de la chaussée rendue glissante par une pluie abondante pour saluer Hannah. Mais elle ne le regardait pas. Il se retourna, un peu penaud, et eut à peine le temps de constater qu’un camion roulant trop vite était en train de l’écraser.

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Commode lourde (13)

13. Journal de Sara (5)

 

Le manuscrit (enfin, le tapuscrit)

 

Coco Banana District, apport magistral à l’Histoire de la Capitale par J. Rouboz

D’aucuns pensent Coco Banana District ainsi nommé d’après la nombreuse population d’origine ex-coloniale l’habitant. Ils ont tout faux ces incultes et autres Provinciaux demeurés ; ils se mettent le doigt dans l’œil jusqu’au coude (si Nous pouvons Nous exprimer de la sorte). La vérité est toute autre et Nous allons ci-après brillamment le démontrer. Nous ne ferons pas l’injure de rappeler la glorieuse Histoire de la Capitale, ville prestigieuse s’il en est et ce depuis la plus Haute Antiquité1. Nous nous contenterons d’ici exposer les faits bruts et indéniables qui amenèrent nos ancêtres Capitaliens à donner à ce District un nom et non un numéro2. Une fois cette démonstration effectuée, Nous Nous attacherons, dans la seconde partie de Notre travail, à brosser un portrait historique de CBD3 jusqu’à nos jours. Enfin, une troisième partie sera, sous le titre de « CBD et après ? », consacrée aux perspectives de développement futur du District.

 

Mais revenons à nos moutons (si Nous pouvons ainsi Nous exprimer) et voyons à la suite de quels événements Coco Banana District se fit de la sorte baptiser.

Cette appellation est très largement antérieure à l’afflux massif de populations issues de nos anciennes Glorieuses Colonies et remonte aux années suivant le faîte de leur rendement4. En ce temps, la Capitale connaissait un véritable âge d’or : le Commerce, l’Industrie, la Recherche, la Prostitution étaient en plein essor. C’est dans ce contexte particulièrement favorable que naquirent de nombreux projets, aussi ambitieux qu’onéreux, sous la houlette de nos fiers et entreprenants Capitaines d’Industries, Savants renommés et autres Magnats en tous genres5. C’est dans le domaine de la recherche scientifique que voyaient le jour les travaux les plus audacieux et novateurs et parmi ceux-ci en était un plus encore que les autres. Il avait été initié par un consortium de Grandes Entreprises collaborant avec les plus prestigieuses Institutions Académiques6 et avait pour but de révolutionner le monde du travail.

Jusqu’alors, les postes de secrétaires étaient traditionnellement occupés par de jeunes et pas très belles Provinciales ; elles causaient à leurs employeurs de fréquents soucis : inculture, inélégance, bêtise, mocheté ainsi qu’une formidable propension à se faire engrosser ce qui entrainait d’interminables congés de maternité au grand dam des pauvres patrons regrettant les temps bénis où la stérilisation forcée était de mise et maudissant les Progressistes alors au pouvoir qui avaient accordé une pléthore d’avantages sociaux aux travailleurs. Face à cette situation, aussi injuste que terriblement contreproductive, un groupe de courageux dirigeants d’entreprises, épaulés par les plus brillants esprits, prit le taureau par les cornes (si Nous pouvons nous exprimer comme cela) et se décida à agir. Ils tentèrent dans un premier temps, de longs mois durant, d’infléchir la rigidité du Gouvernement (composé de ces sales chiens de Progressistes) en l’éclairant de leur grande sagesse. Mais rien n’y faisait : menaces, pots de vin et autres chantages étaient autant de coups d’épée dans l’eau… Alors que le Consortium pensait abandonner l’inégal combat, un jeune et perspicace juriste7 vint leur porter secours. Il avait trouvé une faille dans la législation du travail : les postes de secrétaires étaient bel et bien réservés aux jeunes et pas très belles Provinciales mais rien dans la loi ne mentionnait qu’elles doivent être humaines ! En outre, les Colonies étaient, à cette époque, juridiquement assimilée à la Province8. La solution était donc toute trouvée : importer des tas de singes et leur apprendre à taper à la machine et à répondre au téléphone.

L’entreprise se mit en branle (sous le nom de « Projet Cheeta ») : des dizaines de longs et pansus cargos déversèrent des tonnes de singes dans des camps situés en banlieue. Là, une première sélection était effectuée ; seuls les individus jugés les plus aptes à la suite d’une batterie de tests infaillibles furent conservés pour la suite du projet (les inaptes se voyant brûlés au lance-flamme afin d’éviter tout accouplement non désiré pouvant nuire à la pureté génétique du cheptel). De nombreuses étapes succédaient à cette présélection et seule une élite restreinte parvint au dernier degré de l’apprentissage. Après plusieurs années de travail acharné et face à l’opposition irrationnelle des fanatiques de tous bords (Ecologistes, Progressistes et autres défenseurs des Droits), les premiers éléments furent prêts à remplacer les secrétaires humaines en fonction. Malheureusement, un événement totalement imprévisible vint bouleverser ce si noble projet : nos Forces Coloniales avaient été défaites (on ne sait toujours pas comment) par les rebelles indépendantistes qui sévissaient alors depuis quelques mois9. Blessées dans leur orgueil, elles rentrèrent au pays et fomentèrent un coup d’état (très certainement téléguidé par les Progressistes qui venaient d’être battus lors des précédentes élections) qui les mena aux rênes du pouvoir.

Le projet Cheeta dû être abandonné et les singes se retrouvèrent livrés à eux-mêmes dans les camps ; proliférant anarchiquement et s’adonnant au cannibalisme durant toute la période d’instabilité et de troubles (ou, selon la junte militaire « période de transition vers la démocratie ») qui dura près de 38 mois. Le « nouveau gouvernement démocratique », issu « d’élections libres » organisées par l’Armée, s’installa tant bien que mal. Il fut immédiatement confronté à de nombreux défis dont le problème majeur des TUC10 : faute de matières premières jusqu’alors importées des Colonies, le réseau de tramways se retrouvait paralysé et les citadins se voyaient de ce fait dans l’obligation de recourir à d’autres moyens de locomotion (rarement fiables et très peu sûrs). C’est alors qu’un « Ministre »11 de ce gouvernement fantoche eut l’idée (bien saugrenue) de faire adapter les tramways dans le but de les faire se mouvoir à la force du pédalage de singes logés dans une soute aménagée sous le plancher : quelle stupide erreur ! Les premiers temps, l’idée parut pertinente ; les tramways roulaient à nouveau, au grand confort des Capitaliens. Une grande tour (aujourd’hui disparue12) fut érigée à côté du dépôt des TUC afin d’y entasser les singes pédaleurs. Mais cet imbécile de « Ministre », dans sa coupable précipitation, avait oublié de tenir compte d’un fait d’une importance capitale : parmi les singes réquisitionnés par les TUC se trouvaient quelques individus, fruits de la sélection et de l’entrainement du projet Cheeta, aux capacités supérieures mais à la formation incomplète (ils n’avaient pas suivi le module « antisyndicalisme »). Et ce qui devait arriver arriva : excités par la vindicte d’une poignée de leaders, les singes se retournèrent contre leurs maîtres, mordant de leurs crocs aiguisé la main bienveillante qui les nourrissait. (c’est tout bon ça !)

Les premières manifestations de leur insoumission se traduisirent par des réclamations, toujours plus insistantes : augmentation des rations augmentées de bananes, d’alcool et de cartes à jouer et revendications exigeant des horaires de travail moins contraignants. On leur accorda une grande partie de ce qu’ils demandaient. Constatant qu’ils étaient parvenus à faire fléchir le gouvernement (pas très difficile de les faire flancher ces lopettes de Progressistes), les chefs du mouvement « syndical » (ça Nous brûle les doigts rien que d’écrire ce « mot ») virent là une opportunité à ne pas laisser passer. Leurs exigences se succédèrent, plus pressantes et plus audacieuses à chaque fois, brandissant la menace de la paralysie des TUC si on ne s’y pliait pas.

La situation devint bien vite intenable : pagaïe dans l’organisation des transports, accaparement des stocks de bananes et de la production d’alcool, échauffourées dans les bordels13, etc. Le lâche gouvernement Progressiste laissait faire, soudoyé qu’il était à coups de régimes de bananes, de barriques d’alcool et de putes. Face à cette crise sans précédent, de courageux résistants s’organisèrent et un réseau d’actions souterraines s’établit : un boxon dirigé par les singes fut incendié, des cargaisons de bananes, d’alcool et de putains détournées, de nombreux pamphlets rédigés, imprimés et distribués sous le manteau. Les singes, rendus fous par cette opposition, réclamèrent de la Police (qu’ils n’avaient heureusement pas complètement réussi à mettre sous leur coupe) une répression exemplaire ; le Grand Commissaire Général était le cul entre deux chaises (si Nous pouvons ainsi dire) et était à deux doigts d’accéder à cette demande quand une autre solution se présenta à lui.

Les Anciennes Colonies, menées par un nouveau Maréchal, désiraient reprendre le commerce avec la Capitale : un afflux massif de pots-de-vin déferla sur la ville, renversant la mainmise des singes sur le Gouvernement, l’Armée, la Police et les Maisons Closes. Les Militaires reprirent la main : un nouveau Gouvernement fut installé, les Progressistes bannis et les singes confinés dans la grande tour jouxtant le dépôt des TUC en attendant de trouver quoi en faire. Ces derniers, subitement privés d’alcool, de cartes à jouer et de putes et fortement rationnés en bananes, commençaient à bouillir de rage. Un soir de juillet éclata ce que les Historiens ont plus tard appelé la « Grande Révolte des Singes » : ils parvinrent, grâce à l’appui des Progressistes exilés qui leur avaient fourni des armes et des explosifs, à s’emparer de l’ensemble du quartier entourant leur tour. L’Armée réussit à les confiner dans ce périmètre sans toutefois parvenir à y pénétrer afin de rétablir l’ordre : la situation s’enlisa.

Plusieurs années s’écoulèrent ainsi : un District de la Capitale était hors de contrôle et de fait indépendant. Rien n’aurait sans doute changé (enfin, on en sait rien) sans l’acte courageux d’un jeune et perspicace militaire14. Parvenu, grâce à la conduite d’une brillante et fulgurante carrière, à un poste de commandement au sein de l’Etat-Major, il était (par un habile mélange de chantage, menaces et accord de faveurs sexuelles) entré en possession des codes de Bombardement Extrème. Une nuit de juin, la foudre divine s’abattit sur le District des singes : l’opération Coco Banana ! Des milliers de singes et d’humains (asservis et incapables de se révolter, les traitres !) furent rayés de la carte de la Capitale, périssant dans d’atroces et méritées souffrances… Le jeune et perspicace militaire fut promu au rang inédit de Supermaréchal (il le méritait bien). Plus tard, après son décès, une superbe statue équestre chryséléphantine à son effigie fut fièrement dressée sur la place qui avait pris place à la place de la tour des singes et le quartier l’entourant fut nommé Coco Banana District en sa mémoire.

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Dimanche

 

Et ça continue comme ça pendant des pages et des pages… Qu’est-ce que je vais bien pouvoir lui dire à M. Rouboz ?

 

 

1 Pour une Histoire irréfutable de la Capitale, voir J. Rouboz, Grande Encyclopédie Exhaustive de la Capitale, t. IV, pp. 21-1058.

2 Voir « Le Système de Numérotation Districal » in J. Rouboz, op. cit., t. VII, pp. 324-518.

3 En ce qui concerne l’abréviationnisme, se référer à J. Rouboz, op. cit., t. XIV, pp. 17-56 et pp. 309-424.

4 J. Rouboz, op. cit., t. IX.

5 Voir « Nos fiers et entreprenants Capitaines d’Industries, Savants renommés et autres Magnats en tous genres » in J. Rouboz, op. cit., t. XXIV, pp. 107-824.

6 Parmi celles-ci, on notera la présence du Collège Grand Ducal.

7 Voir « Maître Bitès, champion des opprimés » in J. Rouboz, op. cit., pp. 67-124.

8 Pour une Histoire des Colonies, voir J. Rouboz, op. cit., t. XII.

9 Ibid, pp. 1021-1127

10 Transports Urbains Capitaliens, « ancêtre » de nos TCU (Transports Capitaliens Urbains).

11 L’Histoire, dans son aveugle justice et son infinie sagesse, a oublié son nom.

12 Il n’existe aucune trace iconographique de ce bâtiment : ni dessin, ni peinture, ni photographie et pas même de plan…

13 Les singes avaient pris coutume de fréquenter les prostituées humaines et peu à peu firent décamper les autres clients à coups d’actions d’une rare violence.

14 Voir « Maître Bitès, champion des opprimés » in J. Rouboz, op. cit., pp. 67-124.

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Commode lourde (12)

12. Une rencontre

 

Comme chaque lundi, Hannah était chez elle. Aucun cours n’était dispensé au CGD ce jour-là ; la GBC était fermée, la plupart des commerces également : le lundi était un jour morne dans la Capitale et on s’y morfondait par brassées entières d’ennui. Hannah ne faisait pas exception à cette règle : vautrée dans le canapé, caressant d’une main distraite le pelage noir et doux de Zlatan Ibrahimovic, elle attendait que le temps passe. Elle aurait très bien pu rester ainsi jusqu’à l’heure du coucher quand, subitement, et à la suite d’un enchaînement d’idées se succédant sans ordre logique, elle réalisa que les vêtements qu’elle projetait porter le lendemain étaient peut-être sales. Effectivement, à la suite de fouilles menées dans la pile de linge sale bien rangé dans le bas d’un placard destiné à cet usage, elle trouva les vêtements en question. Heureusement pour elle, les blanchisseries comptaient parmi les rares commerces ne respectant pas la fermeture du lundi (et ce depuis la promulgation d’un Arrêté d’Intérêt Général publié quelques années auparavant sous la pression du puissant Syndicat des Pressings Capitaliens).

Tout destinait donc Hannah à une soirée tranquille, accompagnée par le ronronnement des machines à laver et la lecture d’un roman quelconque. Mais il en fut bien autrement. En enfournant une poignée de fringues dans son grand sac parallélépipédique bleu blanc rouge, un petit bout de papier cartonné tomba vers le plancher et s’y ficha, bien droit, entre deux lattes. Hannah se pencha pour le ramasser et s’aperçut qu’il s’agissait de la carte de visite de Décibelgaz, le jeune type blondasse qu’elle avait rencontré trois jours plus tôt à la sortie du CGD : ça lui était complètement sorti de la tête toute cette histoire de « disparition » de Sara.

HANNAH (à elle-même) : Merde alors ! Ca m’était complètement sorti de la tête toute cette histoire de « disparition » de Sara. (Puis, à Zlatan Ibrahimovic) Tu aurais pu me le rappeler quand même, bête chat.

ZLATAN IBRAHIMOVIC (in petto) : Si tu savais tout ce que j’ai fait pour que tu n’oublies pas ! Mais tu ne comprends rien ; tu es trop idiote… (comme tous ceux de ton espèce).

HANNAH (à elle-même) : Bon, il faut que j’appelle ce type et que je lui fasse part de mes inquiétudes au sujet de Sara… Mais qu’est-ce que je lui avais raconté l’autre jour ? J’avais pas menti ? Je sais plus…

Hannah s’assit, tentant de se remémorer la rencontre avec Décibelgaz et ce qu’elle avait bien pu lui raconter à propos de Sara : il s’agissait pour elle de ne pas lui donner l’impression d’avoir menti tout en lui avouant qu’elle en savait en fait plus que ce qu’elle n’avait révélé… Tout cela semblait bien trop compliqué à Hannah et elle se décida donc à l’appeler et à improviser. Elle composa le numéro de téléphone indiqué sur la carte de visite. Trois sonneries retentirent avant qu’une voix de femme ne réponde.

VOIX DE FEMME : Allo ?

HANNAH : Bonjour, suis-je bien chez M. Frédéric Monfort ?

VOIX DE FEMME : Oui, c’est bien ici.

HANNAH : Pourrais-je lui parler s’il-vous-plaît.

VOIX DE FEMME : Vous pourriez, en effet.

HANNAH : Pouvez-vous me le passer ?

VOIX DE FEMME : Vous pourriez lui parler, disais-je, mais, si vous ne m’aviez pas interrompue, vous m’auriez permis de vous préciser que Monsieur est sorti et que, par conséquent, vous pourriez lui parler dès son retour.

HANNAH : Pardonnez-moi de vous avoir interrompue. Savez-vous quand il sera rentré ?

VOIX DE FEMME : Monsieur n’a pas l’habitude de me faire part avec précision de ses horaires.

HANNAH (un peu déçue) : Ah… Très bien…

VOIX DE FEMME : Mais, si vous ne m’aviez pas interrompue, vous m’auriez permis de vous préciser que Monsieur à pour habitude de rentrer vers 18h00 le lundi.

HANNAH (réfléchit avant de proposer) : Pouvez-vous lui transmettre un message ?

VOIX DE FEMME (hautaine) : Mais certainement. Que dois-je lui faire savoir ?

HANNAH : Dites-lui qu’Hannah a appelé. Que j’ai des choses à lui confier à propos de Sara et que moi aussi je m’inquiète beaucoup à son endroit. Demandez-lui de me rejoindre au Café de l’Après-Midi vers 20h00.

VOIX DE FEMME (exagérément obséquieuse) : Mais certainement Madame. Je ne manquerai pas de lui faire parvenir votre message Madame. Bonne soirée Madame.

HANNAH : Merci. Bonne soirée.

Hannah raccrocha. Elle s’en voulait affreusement d’avoir oublié de s’inquiéter de la « disparition » de Sara. Elle pensa que son insouciance, malgré les nombreux services qu’elle lui rendait (dont un accroissement d’un tiers à peu près de son charme inné), finirait, un jour ou l’autre, par lui jouer de sales tours. Incapable d’attendre l’heure du rendez-vous cloitrée dans son appartement à se ronger les sangs, elle résolut d’aller prendre l’air. Avant de sortir, elle enfila sur sa peau nue une culotte de velours côtelé du dernier chic, une paire de cuissardes en lézard à motif léopard et un imper noir en skaï parce qu’il pleuvait dehors. Pour plus de sûreté, elle inscrivit sur la partie interne de son avant-bras gauche, à l’encre violette indélébile : « Café de l’Après-Midi 20h00 !!! » et enlaça son poignet gauche d’une montre-bracelet dont elle régla l’alarme à 19h45. Ainsi équipée, elle quitta son appartement. Dans les escaliers, son esprit insouciant lui commanda de se rendre au cinéma. Hannah se plia à cette exigence sans rechigner et grimpa dans le tram W. Elle s’assit et consulta, dans un journal abandonné sur la banquette, les horaires des films projetés cette semaine dans les différents cinémas de la Capitale. Alors que son choix oscillait entre Rickshaw 7 et Chérubins et Sales Bestioles, une voix féminine l’interpela.

VOIX FÉMININE : Hannah ?

HANNAH (abaissant son journal et voyant devant elle une jeune femme pas très belle) : Corine ? Non, Sandrine !

JEUNE FEMME : Catherine.

HANNAH : Oui, c’est ça ! Catherine. Alors, comment tu vas ?

CATHERINE : Oh, ça va. La routine. Toujours le même travail d’accueil. Rien de spécial. Et toi ?

HANNAH : Ca va. Je vais au cinéma.

CATHERINE : Tu vas voir quoi ?

HANNAH : Je ne sais pas encore. J’hésite entre Rickshaw 7 et Chérubins et Sales Bestioles.

CATHERINE : Pas évident comme choix. C’est deux grosses bouses…

HANNAH : Je sais. J’y vais juste pour passer le temps avant un rendez-vous… Tu veux m’accompagner ?

CATHERINE : Je ne crois pas que j’aurai le temps, je suis invitée à une soirée. Mais on peut aller prendre un verre si tu a le temps avant la séance.

HANNAH : C’est possible… D’accord ! Allons-y. Mais juste un verre, hein ?

CATHERINE : Oui, oui. Juste un.

Une dizaine de bières, verres de vin, cocktails en tous genres et autre spiritueux plus tard dans un bar à la mode du District XIV.

HANNAH : (…) et alors je lui ai dit qu’il pouvait aller se faire foutre !

CATHERINE : T’as bien fait.

HANNAH : Tu n’avais pas dit que tu allais à une soirée ?

CATHERINE : Oh mince ! J’ai failli oublier. Merci de me le rappeler.

HANNAH : Je t’en prie. Pour une fois que je me souviens de quelque chose…

CATHERINE : J’ai deux invitations et personne pour m’accompagner. Ca te dirait de venir avec moi ? C’est une fête très classe en l’honneur d’un mec très riche et très connu.

HANNAH : Qui ça ?

CATHERINE : …j’ai oublié. Ha, ha, ha !

HANNAH : Ha, ha, ha ! T’es comme moi.

CATHERINE : Alors ? Tu m’accompagnes ?

HANNAH (réfléchit un moment) : J’ai rien de prévu ce soir… Je viens ! Ca peut être marrant.

CATHERINE : Super ! On va bien s’amuser. Je dois juste passer chez moi vite fait histoire de me changer.

HANNAH : Bonne idée, je ferais bien pareil.

CATHERINE : Tu rigoles !? T’es superbe ! (Comme toujours.)

HANNAH (faussement modeste) : C’est vrai ? C’est trop gentil… C’est juste des vieilles fringues que j’ai prises au hasard dans ma garde-robe à grande porte-miroir coulissante.

CATHERINE (prétendant la croire) : N’empêche que c’est terrible. J’aimerais bien être gaulée comme toi pour pouvoir porter ce genre de trucs…

HANNAH (à la frontière entre politesse et hypocrisie) : Tu plaisantes !? J’adorerais avoir tes seins ; ils sont splendides : bien ronds et bien hauts. Pareil pour tes fesses.

CATHERINE : Vile flatteuse. Ha, ha.

HANNAH : On s’arrache ?

CATHERINE : On se casse !

Hannah et Catherine se barrèrent du bar en parvenant, grâce à quelques minauderies, à se faire offrir leurs nombreuses consommations par le jeune loufiat boutonneux préposé à la caisse. Arrivées à l’appartement de Catherine (situé à deux pas (littéralement) du bar) elles échangèrent des propos sans véritable intérêt pendant que Catherine se changeait et qu’Hannah réfrénait les nombreuses critiques qu’elle formulait en pensée à l’encontre du physique de sa copine et du choix de ses tenues. Au bout d’une pénible demi-heure, Catherine opta finalement pour des vêtements banaux et un peu moches. Hannah, qui en avait marre de cette séance de looking , complimenta Catherine et lui proposa d’appeler un taxi pour se rendre à la fête. Elles le firent.

Dans l’habitacle du véhicule destiné au transport payant de passagers, l’alarme de la montre d’Hannah sonna.

CATHERINE : Qu’est-ce que c’est ?

HANNAH : Ma montre, elle sonne. Flûte ! Je ne parviens pas à me rappeler pourquoi.

CATHERINE : Probablement rien d’important.

HANNAH : Tu as sans doute raison ; j’ai dû la programmer par erreur.

CATHERINE : Ouais… Tiens, on est arrivées.

Le taxi s’arrêta au fond d’une impasse pavée étroite et sombre. Les deux jeunes femmes descendirent, un peu incertaines car il n’y avait rien qui laissait présager la tenue d’une super méga soirée : ni musique, ni lumière, ni gens, ni vomi dans le caniveau non plus. Le chauffeur de taxi leur demanda si elles voulaient qu’il attende un peu mais elles refusèrent (ça coûtait déjà assez cher comme ça !) et le congédièrent. Une fois le taxi disparu derrière le coin de la ruelle, un pesant silence froid et humide s’installa. Il fut rompu bien vite par le grincement d’un judas s’ouvrant au milieu d’une grande porte cochère. Une voix en sortit.

LA VOIX : Vous avez vos invitations ?

CATHERINE (tendant les cartons par l’ouverture) : Voilà… Deux invitations.

Un certain temps s’écoula. Le judas (qui s’était entretemps fermé) se rouvrit. Un visage difficilement distinguable apparut une poignée de secondes. Le judas se referma. Un temps certain s’écoula. Un bruit de porte s’ouvrant se fit entendre : la porte s’ouvrait. Une lumière pas trop vive se jeta paresseusement dans l’impasse, éclairant les deux amies et révélant à leurs yeux circonspects un long hall carrelé menant dieu sait où. A chacun des deux battants de la porte se tenait agrippé un larbin nain en tenue de grande pompe : livrée vert bile, jabot de mousseline, bas jaune pisse, brodequins de maroquin ; leur courbure parfaitement servile invitant Hannah et Catherine à rentrer. Elles s’avancèrent dans le couloir, silencieuses. La porte se referma derrière elles. Au bout du corridor, une large cour éclairée aux flambeaux et entourée de hautes façades blanches ; un tapis rouge zigzaguant à travers l’espace carré leur proposant de franchir une des trois portes vitrées. Au-delà de celle-ci, elles trouvèrent un troisième larbin nain, accoutré comme les deux premiers à l’exception de plusieurs broderies d’or fin supplémentaires. Muettement, il leur signifia de pénétrer dans l’ascenseur où un très jeune liftier les attendait. L’ascenseur s’arrêta au onzième et s’ouvrit sur une salle beaucoup plus grande que l’on aurait pu le penser en voyant le bâtiment de l’extérieur.

CATHERINE : Putain, c’est énorme !

HANNAH : Et tout ce monde !

CATHERINE : C’est enivrant…

HANNAH : Si on allait chercher notre hôte pour le saluer ?

CATHERINE : On peut essayer… Mais je n’ai pas la moindre idée de ce à quoi il peut bien ressembler.

HANNAH : Bah, on finira bien par le trouver.

Elles se glissèrent harmonieusement parmi la foule d’invités tous beaux, jeunes et fort chics. De nombreux larbins nains parcouraient l’endroit, portant sur leurs têtes de grands plateaux généreusement garnis de verres d’alcools divers et de délicieux amuse-bouches raffinés qu’ils dispensaient aux convives sans compter.

HANNAH : Regarde !

CATHERINE : Quoi ?

HANNAH : Là, cet homme. Ce ne serait pas notre hôte ?

CATHERINE : Oui, ça pourrait être lui… En fait non. C’est pas lui.

HANNAH : Dommage, j’aurais bien été le saluer, il est si beau…

CATHERINE : Rien ne t’en empêche.

HANNAH : C’est vrai !

CATHERINE : Ne te soucies pas de moi et vas le voir.

HANNAH : Tu crois ? Tu ne veux pas que je reste avec toi ?

CATHERINE : Non, non. Crois-moi, vas-y. Je m’en sortirai très bien toute seule. Je vais m’envoyer quelques coupes. Une fois que je serai assez saoule j’irai faire ma salope lascive sur la piste de danse. Il y aura bien deux ou trois mecs qui me proposeront de baiser aux chiottes.

HANNAH : Bon, comme tu veux. A plus.

Hannah laissa Catherine. Elle se fraya un passage, virevoltant, pirouettant entre les gens, attrapant au passage une douzaine de canapés et la moitié de verres d’alcool (pour se donner du courage). Elle stoppa sa progression à distance adéquate de l’homme qu’elle pensait erronément, avant que Catherine ne la détrompe, être l’hôte de la soirée. Elle l’observa discrètement non sans lui envoyer de multiples signaux de séductions méconnus de bien des mâles. C’était un homme d’une grande beauté et d’une rare élégance (tous les Capitaliens en sont dotés, bien sûr, mais certains, dont il faisait partie, plus que les autres), portant un smoking d’une chaste blancheur orné d’une rose bien rouge agrafée au revers gauche de la veste. Il était en conversation avec trois petites pétasses qui se tortillaient et riaient à contretemps en lui jetant des regards prédateurs. « Du menu fretin, se réjouit Hannah. J’aurai tôt fait de les supplanter. » Elle patienta encore un peu, attendant le moment opportun pour entrer en action. L’homme se détacha du groupe et se dirigea vers les toilettes. Il était temps pour Hannah d’agir : il ne lui fallait pas manquer cette occasion servie sur un plateau d’argent. Elle le suivit ostensiblement sans qu’il ne la remarque : un dur à cuire ! Il fallait qu’Hannah se montre plus entreprenante… Elle le rattrapa alors qu’il franchissait le seuil des vécés et pinça espièglement sa fesse gauche (qu’il avait, tout comme la droite, musclée à point) sous le regard impassible de l’homme pipi.

HOMME (dans une volte-face distingué) : Aïe ! Mon cul ! (Puis, réalisant qu’il ne s’agissait pas de l’un de ses amis farceurs le taquinant mais d’une superbe créature.) Hum, hum. Mademoiselle ?

HANNAH : Vous n’êtes pas très perspicace.

HOMME : Je vous demande pardon ?

HANNAH : Ne faites pas comme si vous n’aviez rien vu.

HOMME (malicieux) : Vu quoi ?

HANNAH (plus malicieuse encore) : Oh… Rien…

HOMME : J’avoue. C’est vrai. Comment n’aurais-je pu vous remarquer ? Vous êtes parfaitement magnifique.

HANNAH : Continuez, je vous en prie.

HOMME : Il fallait que je me débarrasse de ces sangsues… Les filles de mes associés ; relations strictement professionnelles.

HANNAH : Oh mais vos fréquentations ne regardent que vous.

HOMME : Permettez-moi de vous inviter à danser.

HANNAH : Laissez-moi consulter mon carnet de bal.

Hannah sortit de son sac à main un joli calepin qu’elle feignit de consulter. Elle s’apprêtait à éconduire son prétendant afin de rendre la situation plus ****** quand une des portes des toilettes s’ouvrit avec fracas, libérant Catherine et deux gars. Ils s’étalèrent tous les trois sur le marbre blanc, déculottés, et vomirent à l’unisson.

HOMME (un brin moqueur) : Fâcheuse posture.

HANNAH : Mince, c’est Catherine.

HOMME : ?

HANNAH : Mon amie Catherine. Je ferais mieux de la ramener chez elle.

Elle ramassa Catherine et la traina péniblement vers la sortie.

HOMME : Attendez ! Nous ne nous sommes même pas présentés.

HANNAH : Je m’appelle Hannah, enchantée.

HOMME : Rouboz. Jack. Jack Rouboz… Junior !

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Commode lourde (11)

11. Journal de Sara (4)

 

Vendredi

 

C’est aujourd’hui mon premier jour de travail. Je suis à la fois excitée, inquiète, impatiente et pleine d’autres sentiments contradictoires. J’ai à peine dormi malgré l’épuisante journée d’hier : le jour de la rentrée scolaire ! La semaine passée s’est toute entière déroulée dans l’attente de mes résultats aux épreuves d’admission du CGD ; je me levais chaque matin à 7h36 (précisément) ce qui me permettait d’être dans le hall d’accueil de la pension à 8h14 (précisément), heure à laquelle, invariablement, le facteur venait déposer le courrier et tailler une bavette avec Mme Groβ (discussion prétexte à l’absorption de nombreux verres d’une liqueur qu’elle tenait jalousement serrée sous le comptoir). Je ne sais plus quel jour exactement le facteur m’a remis la vilaine enveloppe brune (je dirais bien jeudi, mais peu importe). Quoi qu’il en soit, j’ai manqué de peu de m’évanouir quand il me l’a tendue d’une main souriante et servile ; je suis malgré tout parvenue à l’ouvrir et j’ai pu lire que j’avais « satisfait honorablement (mais sans étincelles) aux critères de sélection » : j’étais admise ! Le lendemain, je me suis résentée au CGD où l’on m’a remis les différentes fournitures scolaires : cahiers, crayons, compas et l’indispensable bic à quatre couleurs (le tout frappé du blason du Collège (un griffon en rut prenant sauvagement une chèvre naine)). En plus de cela, ils m’ont donné un uniforme à porter lors des différentes manifestations institutionnelles : chemisier de soie écrue à liserés carmins, jaquette de chinchilla bordeaux, jupette de tartan violacé à motifs floraux jaune pisse, bas de laine de yak verts fluo et souliers de cuir de loutre d’un noir extrêmement brillant (c’est vraiment très moche comme tenue mais bon, c’est comme ça…). Les jours suivants (jusqu’à hier matin) ont été étranges : je ne savais pas trop quoi faire de mes dix doigts (ni du reste de mon corps d’ailleurs) et j’ai passé mes journées à rêvasser, allongée sur mon lit, parée de mon uniforme flambant neuf. Le jeudi est finalement arrivé, comme si de rien n’était ; il se foutait pas mal de mes appréhensions : c’était un jeudi comme il y en a des centaines. Un peu déçue par son manque d’empathie, je me suis levée et j’ai revêtu l’uniforme que Mme Groβ avait préalablement lavé, séché, repassé, empesé, etc. moyennant une substantielle augmentation de mon ardoise (elle avait, quand je lui avais montré la lettre d’admission, accepté (à titre exceptionnel, m’avait-elle confié) de me faire crédit (grâce, sans doute, à la fierté de compter parmi ses pensionnaires une étudiante du CGD ainsi qu’à la probable publicité qu’elle pensait pouvoir en retirer)).

Le tram W m’a déposée sur la grande esplanade (qui ne porte apparemment aucun nom spécifique), j’ai descendu la rue menant au CGD (qui s’appelle fort logiquement rue du Collège Grand Ducal) et je me suis retrouvée devant le grand portail ornementé. Il y avait pas mal d’animation : les allées et venues d’étudiants, de professeurs et autres membres du personnel formaient une sorte de ballet à la chorégraphie de chiotte. J’ai constaté que la plupart des étudiants ne portaient pas l’uniforme et que les seuls à en être vêtus avaient tous sans exception un indéniable air Provincial (berk !) mais il était trop tard pour faire l’aller-retour jusqu’à la pension pour me changer (et puis je n’avais rien de vraiment mieux à me mettre). Je suis donc entrée dans le bâtiment, suivant un groupe au hasard. Après de nombreux escaliers, couloirs, antichambres et autres contre-allées qui m’ont emportée, transportée, je me suis retrouvée dans une salle aux dimensions respectables : une estrade équipée d’un pupitre de bois précieux (à ce qu’il m’a semblé) faisait face à plusieurs rangs de banquettes disposées en gradins (ça ressemblait à la photo d’un cinéma que j’avais un jour vue dans le journal de mon père (sauf qu’il n’y avait pas d’écran avec des femmes nues dessus)). Je me suis installée à mi-hauteur et j’ai compté autour de moi dix-sept autres étudiants (un seul portait l’uniforme) ; certains, assemblés en petits groupes, discutaient avec un certain emportement (j’étais trop loin pour saisir les conversations et en plus l’acoustique de l’endroit était vraiment merdique), d’autres, seuls, se contentaient, comme je le faisais moi-même, d’observer et il y en avait même un qui dormait. Nous avons attendu ainsi près d’une heure (estimation très approximative) avant d’assister à l’entrée de trois personnes : un homme et deux femmes. L’homme a pris place derrière le pupitre, flanqué des deux femmes. Il s’est présenté comme le vice-recteur *** (je n’ai pas retenu son nom) et a débité un lénifiant discours préfabriqué sur l’histoire du CGD, sa grandeur, son niveau d’excellence, etc. (c’était super chiant !). Quand il en a eu terminé (au bout d’une heure et demie, estimation plus qu’approximative), il nous a présenté les deux femmes qui l’entouraient : « A ma gauche, la fameuse Aurore Assenaud, Professeur Émérite des Leçons de Livres. Et à ma droite sa non moins charmante assistante Hannah. Voilà ! Je vous laisse entre leurs mains raffinées, souhaitant les voir modeler la merde grossière dont vous êtes constitués en un chef d’œuvre cristallin… Salut ! » Il a quitté l’auditoire en esquissant un pas de danse assez particulier : le dos légèrement vouté, levant haut les genoux, les bras à angle droit accompagnant le mouvement parachevé par un sautillement ridiculement plaisant.

Aurore Assenaud a alors pris la parole. C’est une belle femme d’une quarantaine d’années, fort élégante. Elle nous a dressé une vue d’ensemble du cours qu’elle nous dispenserait tout au long de l’année académique à venir, nous parlant de sa pédagogie, de la méthodologie y afférant et des différents écueils à éviter si nous voulions ne pas nous voir lamentablement échouer. C’était un discours très classe, parfaitement balancé : subtilement teinté d’un humour délicat, discrètement coloré de métaphores et de comparaisons tombant fort à propos (pas comme les miennes…), rehaussé de pointes d’un lyrisme classique mais pas ringard du tout. Nous étions toute ouïe, y compris son assistante qui se contentait d’un acquiescement niais et béat toutes les trente secondes environ : quelle connasse celle-là ! Je ne me l’explique pas mais je ne la sens pas du tout (mais alors vraiment pas du tout) cette Hannah : je ne sais pas si c’est sa tête d’idiote, sa tenue de pétasse ou son air léger mais quelque chose me dit qu’elle risque de sérieusement me faire chier…

 

 

Samedi

 

Le manuscrit est devant moi, couché sur le bureau de ma chambre il me nargue d’un regard de défi. Il est composé d’une trentaine de feuillets de papier bouffant ; le texte est dactylographié (il s’agit donc plus exactement d’un tapuscrit) en caractères « lucida sans typewriter » de taille « 10 » avec un interligne simple et des marges de 40 mm. Je l’ai juste feuilleté en coup de vent : je n’ose pas encore le lire, j’ai un peu peur de ce que je pourrais y trouver… Il faut dire qu’il m’a été confié par un personnage « particulier » dont on m’a prévenue de me méfier et de surtout ne rien accepter.

Tout s’est passé hier, lors de mon premier jour de travail dans la librairie de M. Licorne. Je m’y suis présentée de bonne heure, fraîche et pleine d’énergie malgré ma nuit peu reposante, quelques minutes avant l’ouverture. M. Licorne m’a accueillie cordialement et nous avons agréablement bavardé autour d’un café et de croissants au bon beurre de ferme produit à partir du lait des meilleures vaches de la Capitale (M. Licorne est intarissable dès que la production agricole de la ville vient à être évoquée). Après cette parenthèse agro-alimentaire, M. Licorne m’a questionnée sur ma rentrée scolaire ; comme je lui faisais part de mes premières impressions, il m’a donné quelques précieux conseils et autres trucs et astuces concernant le fonctionnement du CGD et du Milieu Académique en général. Puis, ayant fini de nous sustenter, et après qu’il ait fumé un fin cigarillo presque noir, M. Licorne m’a introduite aux bases du travail de libraire : il a discouru un bon bout de temps, s’agitant entre les rayonnages, s’égarant dans de longues digressions, s’arrêtant, parfois, quelques secondes, réfléchissant, revenant subitement à un propos antérieur, l’abandonnant, etc. Bref, tout cela était un peu confus : brouillon. Mais en gros, mon travail consisterait, principalement, à encaisser l’argent reçu des clients en échange de la cession à ceux-ci d’un ou plusieurs livres, à ranger ces derniers (avant qu’ils ne soient vendus, cela va de soi) sur les étagères (il n’y a aucun classement particulier à respecter, ça fait partie de « l’esprit des lieux »), à faire du café, à répondre au téléphone et aussi, tous les deux mois environ, à passer la serpillère et à faire les poussières (qui elles aussi participaient à la constitution de « l’esprit des lieux »).

– Mais il y a encore une chose très importante, a continué M. Licorne alors que je pensais qu’il en avait terminé.

– Qu’est-ce ? ai-je demandé.

– Il y a ce client qui est un peu… Disons qu’il est… « particulier ».

– « Particulier » ?

– C’est un très bon client (sans doute mon meilleur client) mais il faut s’en méfier.

– Pourquoi donc ? Qu’ai-je à en redouter ?

(Il est certainement un peu tôt pour l’affirmer, mais il me semble que mon entrée au CGD a déjà grandement contribué à l’amélioration de mon style scriptural. Ca fait un bail que je n’ai pas sorti une bête comparaison par exemple. Mais il s’agit vraisemblablement d’une sorte d’effet placebo. Et puis qui s’en soucie de mon style ? N’empêche que c’est quand même un exercice intéressant (je parle de l’écriture de ce journal) en vue des épreuves qui vont jalonner cette année scolaire débutant pas trop mal je crois et blabla…)

– Et bien on raconte pas mal de choses à son sujet, a répondu M. Licorne. Des choses qu’il aurait faites. Des choses pas très reluisantes. A des jeunes femmes.

– Ah bon ? Quel genre de choses ? l’ai-je questionné sans marquer la moindre inquiétude.

– Et bien, il y a des rumeurs qui circulent dans le quartier, a dit M. Licorne d’un ton prudent.

– Des rumeurs ?

– On dit qu’il s’intéresse de fort près aux jeunes et jolies jeunes femmes et à leur vertu…

– Ne vous en faites pas M. Licorne, l’ai-je rassuré. Je saurai faire face !

– Je ne mets pas en cause tes capacité mais je dois fermement te mettre en garde : il use d’un puissant pouvoir de persuasion. Le mieux que je te puisse conseiller c’est de ne jamais lui adresser la parole ; dès que tu le vois entrer dans la librairie, va te cacher dans l’arrière-boutique et laisse-moi m’en occuper, ça vaudra mieux.

– Et comment je le reconnais ?

– Ah ! Il est comme le Malin. Sous une allure séduisante il camoufle une vilénie sans comparaison… Mais il y a un moyen infaillible de le confondre : lorsqu’il entre en contact visuel avec une jeune et jolie jeune femme, il ne peut s’empêcher de la mater. Or, une forte myopie le contraint alors à chausser une paire de lunettes. Et c’est à ce moment que tu pourras le démasquer : ses lunettes n’on qu’une seule branche et il a une façon bien à lui de les porter, les verres non pas parallèles au visage mais inclinés vers l’avant…

– Comme c’est bizarre, ai-je fait.

– Oui… Bon, maintenant au boulot ! a-t-il conclu.

La journée, dans sa presqu’intégralité, s’est déroulée sans encombre : M. Licorne m’a fait ranger une caisse de livres qui lui avait été livrée la veille, quelques clients sont entrés dans la librairie (trois sont repartis sans rien, deux ont effectué des achats), le tenancier du bar d’en face nous a apporté des cafés vers 11h00, nous avons été déjeuner entre midi et deux (la boutique ferme à ces heures) et j’ai terminé l’assiette de tripes de M. Licorne (il n’a pas grand appétit cet homme-là), nous sommes revenus, avons repris un café à 15h00, d’autres clients sont arrivés et repartis, etc.

Aux alentours de 16h00, M. Licorne a dû s’absenter pour une « petite course » (il a dit ça d’un air gêné ; je le soupçonne d’aller aux putes car quand il est revenu à six heure moins cinq (5 minutes avant la fermeture), il affichait une mine réjouie et comblée (bien qu’il n’était pas maussade non plus avant cela). C’est donc entre 16h00 (environ) et 17h55 que « l’événement » s’est produit. Alors qu’un client venait de s’en aller, un lourd volume d’héraldique sous le bras (consacré, en majeure partie, à l’historiographie du blason du CGD (un griffon en rut prenant sauvagement une chèvre naine)), un autre bonhomme a fait une entrée discrète dans le magasin. A priori, rien ne le distinguait du précédent : un vieux monsieur parfaitement poli qui m’a timidement saluée. Je ne lui ai donc pas prêté plus d’attention qu’il ne paraissait en mériter et j’ai continué le travail de « classement » que M. Licorne m’avait confié en partant. J’étais absorbée par ma tâche, en grande extension sur un tabouret me permettant d’atteindre les rayonnages les plus élevés, bien cambrée, sur la pointe des pieds, quand j’ai ressenti dans mon dos (entre l’omoplate et l’épaule gauches) une sensation malveillante. J’ai jeté un coup d’œil furtif par-dessus mon épaule, entre deux mèches de cheveux, et j’ai vu le vieil homme me regarder (discrètement, pensait-il, feignant de feuilleter un bouquin) à travers une paire de lunettes inclinées à une seule branche ! C’était donc lui ! Il n’avait pas l’air bien méchant : juste un peu pervers mais pas bien méchant. Faisant fi des recommandations de M. Licorne, je suis descendue du tabouret et j’ai engagé la conversation avec lui : « Bonjour Monsieur, puis-je vous aider ? »

– Aaah… Aaah t’pu… Aaah put’… sale pu…, a-t-il craché.

– Voulez-vous un mouchoir ? lui ai-je proposé pensant qu’il éternuait.

– Non. Non merci, je vais bien, a-t-il répondu d’un ton courtois.

– Vous êtes la nouvelle employée de M. Licorne ? a-t-il ajouté.

– Oui, tout à fait.

J’étais intriguée par ce personnage et tout ce que M. Licorne m’avait dit de lui et je voulais en savoir plus sur ce prétendu intérêt qu’il était censé porté aux jeunes et jolies jeunes femmes et à leur vertu. J’ai hésité un court instant avant de me décider à y aller franco : « On m’a dit que vous étiez une espèce de vieux satyre, est-ce-que c’est vrai ? » Il a paru très embarrassé et à rougi (non pas uniformément mais par plaques sur le front et dans le cou) puis a répondu plutôt calmement : « Ha, ha, ha ! (d’un rire forcé) Ce ne sont là que d’ignominieuses calomnies chère mademoiselle ; le fruit de l’imagination jalouse de quelques âmes désœuvrées en mal de sensations licencieuses. »

– Mais je réalise que je manque à la plus élémentaires des politesses, a-t-il prestement enchaîné en me tendant des deux mains sa carte de visite couleur coquille d’œufs frappée de caractères romains où l’on pouvait lire : « Docteur Jack Rouboz, Vice-Grand Satrape du Conseil Historique Capitalien » ainsi que ses coordonnées.

– Je m’appelle Sara, enchantée de faire votre connaissance M. Rouboz.

– Si je puis me permettre, vous me semblez fort intelligente et bien perspicace chère mademoiselle. J’ignore comment vous le présenter mais j’aurais, en quelque sorte, un « service » à vous demander…

– Dites toujours ; je peux peut-être vous le rendre ce « service », ai-je répondu non sans brièvement imaginer les choses qu’il aurait pu me faire faire.

A ma grande surprise, le vieil homme ne m’a proposé aucun acte de nature sexuelle, bizarre ou perverse mais s’est contenté de sortir du sac plastique qu’il avait coincé entre ses jambes (un bête sac de mauvais plastique blanc) un paquet de feuilles reliées par des anneaux métalliques en spirale.

– J’aimerais, chère mademoiselle, que vous ayez l’obligeance de faire la lecture de ceci et qu’ensuite vous me fassiez part de toute critique : objective comme subjective, justifiée comme arbitraire, intelligente comme idiote (bien que je suis intimement convaincu qu’aucune bêtise quelle qu’elle soit ne puisse jamais se frayer de chemin à travers une si jolie bouche…). Bref, je vous demande humblement de me donner votre avis sur ce que j’ai écrit.

– Très bien, ai-je dit.

– Et ce sera tout ? ai-je continué, attendant quelqu’indécente proposition de sa part.

– Et bien me donner votre opinion constituerait une immense faveur que vous m’accorderiez ; j’ai conscience que c’est déjà trop vous demander, je ne vois pas ce que je pourrais réclamer de plus…

– Vous êtes bien sûr qu’il n’y a rien d’autre ? ai-je insisté, habitée de la méfiance que M. Licorne m’avait instillée par ses mises en garde à l’encontre de M. Rouboz.

– Je peux comprendre votre inquiétude mademoiselle. Mais, comme je vous l’ai dit plus tôt, la réputation de satyre qui m’est faite par certains est totalement injustifiée. Je peux vous assurer que vous pouvez avoir à mon endroit une entière et aveugle confiance. Tout ce que j’attends de vous c’est que vous lisiez mon texte et que vous me donniez votre point de vue. Et si vous le souhaitez, je peux vous rémunérer pour ce travail.

– C’est d’accord, ai-je alors acquiescé, convaincue par la perspective d’un extra pouvant venir compléter mon salaire bas mais décent.

J’ai pris le manuscrit de ses mains et je l’ai rangé dans mon sac. Le vieil homme est parti. Plus tard M. Licorne est revenu de sa « petite course ». Je ne lui ai rien dit de ma rencontre avec M. Rouboz, nous avons fermé la librairie et chacun est rentré chez soi.

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Commode Lourde (10)

10.

 

Un grand portail ornementé, surplombé d’un blason représentant un griffon en rut prenant sauvagement une chèvre naine, dans une rue plongeant depuis une vaste esplanade. Au-delà, une salle d’attente commune, presque vide. A l’exception de deux hommes aux vêtements détrempés, assis dans un coin de la pièce.

FRANÇOIS MERCURE : J’avais bien dit qu’il fallait prendre la voiture.

FRANCIS PLOMB : Combien de fois vais-je devoir te dire qu’elle est au garage ?

FRANÇOIS MERCURE : N’empêche qu’on aurait pu prendre un taxi.

FRANCIS PLOMB : Un taxi !? Monsieur se prend peut-être pour le roi du Siam ?

FRANÇOIS MERCURE : Mais on a assez d’argent, non ?

FRANCIS PLOMB : Non. L’argent on en a jamais assez.

FRANÇOIS MERCURE : N’empêche qu’on aurait pu prendre un taxi.

Francis Plomb sort un mouchoir de sa poche et se mouche bruyamment, rompant le silence qui s’était installé dans la pièce.

FRANÇOIS MERCURE : Si au moins il y avait des magazines… Ça fait combien de temps qu’on attend ?

FRANCIS PLOMB : J’en sais rien.

FRANÇOIS MERCURE : Tu dirais quoi ? Une heure ? Plus ? Moins ?

FRANCIS PLOMB : Peu importe François, peu importe.

FRANÇOIS MERCURE : N’empêche que ça commence à devenir long… On devrait peut-être revenir une autre fois.

FRANCIS PLOMB : Non. Ils vont nous recevoir bientôt. Ca fait partie du jeu…

FRANÇOIS MERCURE : Un jeu ? Quel jeu ? Je n’avais pas remarqué qu’on jouait.

FRANCIS PLOMB : C’est toujours comme ça dans les « Grandes Institutions ». Ca leur permet de renforcer leur image d’excellence, de rehausser leur prestige et d’autres conneries dans le genre.

FRANÇOIS MERCURE : N’empêche que c’est long. (Une pause) Tu as pensé à ce qu’on allait leur demander ?

FRANCIS PLOMB : Pas trop, non. On verra bien.

FRANÇOIS MERCURE : Il faudrait quand même mettre au point une stratégie, non ?

FRANCIS PLOMB (moqueur) : Une stratégie ? Tu te prends pour le roi du Siam ?

FRANÇOIS MERCURE : Tu l’as déjà dit ça.

FRANCIS PLOMB : On leur pose les questions de base et c’est tout.

FRANÇOIS MERCURE : Et si ils veulent pas nous répondre ?

FRANCIS PLOMB : Ils répondront.

FRANÇOIS MERCURE : Comment peux-tu en être si sûr ?

FRANCIS PLOMB : Parce que…

A ce moment retentit une violente sonnerie électrique. Le panneau lumineux, accroché dans l’angle opposé à celui où les deux détectives sont assis, émet un cliquètement hasardeux et le 47 qu’il affichait se mue en 48.

FRANÇOIS MERCURE : Ah ! C’est à nous.

FRANCIS PLOMB : Pas encore.

FRANÇOIS MERCURE : Mais si, il n’y a personne d’autre ici.

FRANCIS PLOMB : Ce n’est pas notre numéro.

FRANÇOIS MERCURE : Qu’est-ce que ça peut faire ? J’en ai marre d’attendre. On y va.

FRANCIS PLOMB : Non. On attend notre numéro.

FRANÇOIS MERCURE (déçu) : Pff… Et quel numéro on a ?

FRANCIS PLOMB : Le 74.

FRANÇOIS MERCURE : 74 !? Mais on va y passer la journée !

FRANCIS PLOMB (taquin) : Et peut-être même la nuit…

FRANÇOIS MERCURE : La nuit !? Mais c’est pas possible. Et il n’y a même pas de magazines. (Il réfléchit longuement) Et si ? (Il se ravise puis, finalement, revient à son idée) Et si on gardait le ticket et qu’on revenait tout à l’heure ou même demain ? Ou alors… on pourrait… Tu pourrais rester ici et attendre : tu n’aurais qu’à m’appeler au bureau quand se serait notre tour.

FRANCIS PLOMB : Et comment tu pourrais arriver ici assez vite ?

FRANÇOIS MERCURE (tout fier) : En taxi !

La sonnerie électrique se fait à nouveau entendre, plus violemment cette fois. Le panneau d’affichage semble s’affoler et cliquette, erratique : tour à tour apparaissent le n°81, le 07, le 24, le 10 puis HE. Il reste bloqué sur cette position quelques secondes avant de repartir pour finalement s’arrêter sur le 74.

FRANCIS PLOMB : Ben voilà mon petit François. Fallait pas s’inquiéter.

Ils se lèvent et ouvrent une porte au hasard (il y en a deux dont celle par laquelle ils sont entrés), la franchissent et se retrouvent dans une minuscule pièce au plafond très haut. Le long des quatre murs s’empilent une formidable quantité de dossiers volumineux (seul l’espace de la porte est laissé libre, il n’y a pas de fenêtre). Un fonctionnaire, assis derrière un bureau d’enfant, les invite à s’asseoir.

FRANÇOIS MERCURE : Où ? Il n’y a pas de chaise…

FRANCIS PLOMB (pince son collègue et lui grimace) : Écoute ce que le Monsieur te dit et assieds-toi.

FRANÇOIS MERCURE (s’assied par terre) : Voilà.

FRANCIS PLOMB (fait de même) : …

Le rond de cuir semble avoir oublié leur présence. Il compulse un dossier poussiéreux minutieusement ; il tourne les pages avec précaution, le visage à quelques centimètres à peine du vieux papier jauni.

FRANÇOIS MERCURE (très bas, à Francis Plomb) : Qu’est-ce qu’il fiche ?

FRANCIS PLOMB (sur le même ton) : Il nous met à l’épreuve, en quelque sorte…

FRANÇOIS MERCURE (sur le même ton) : Ca va durer combien de temps cette… mascarade.

FRANCIS PLOMB (sur le même ton) : Mascarade ?

FRANÇOIS MERCURE (sur le même ton) : Mise en scène trompeuse; comédie, hypocrisie.

FRANCIS PLOMB (sur le même ton) : Je sais ce qu’est une mascarade ! J’étais juste surpris que tu connaisses ce mot.

FRANÇOIS MERCURE (sur le même ton) : Ca ne m’étonne pas.

FRANCIS PLOMB (sur le même ton) : Quoi ?

FRANÇOIS MERCURE (sur le même ton) : Que tu t’étonnes.

FRANCIS PLOMB (sur le même ton) : Que je m’étonne de quoi ?

FRANÇOIS MERCURE (sur le même ton) : De mes connaissances lexicales.

FRANCIS PLOMB (sur le même ton) : Lexicales ?

FRANÇOIS MERCURE (sur le même ton) : Féminin pluriel de lex…

Le fonctionnaire relève subitement la tête et réalise la présence dans son bureau des deux détectives. Il a l’air complètement abasourdi et dit : « Merci Messieurs, vous pouvez disposer. »

FRANÇOIS MERCURE : Hein !?

LE FONCTIONNAIRE : Merci. Vous pouvez partir maintenant.

FRANÇOIS MERCURE (se lève, l’air de vouloir en découdre) : C’est une blague ?

LE FONCTIONNAIRE : Une blague ?

FRANÇOIS MERCURE : On a même pas posé une seule question. C’est une mascarade ! Une… (Il cherche un synonyme sans le trouver) Une vaste connerie ouais !

FRANCIS PLOMB (intervient fort à propos) : François ! Ton langage. (Puis, au fonctionnaire) Veuillez nous excuser Monsieur, nous vous laissons. (Il attrape fermement François Mercure par le coude droit et l’emmène avec lui hors du bureau en refermant précautionneusement la porte derrière lui.)

FRANÇOIS MERCURE : Mais… Mais c’était quoi ça ?

FRANCIS PLOMB : Ca n’aurait servi à rien d’insister. On aurait rien obtenu. A part peut-être des ennuis.

FRANÇOIS MERCURE : Mais je ne comprends pas… L’autre jour avec le facteur tu disais que les fonctionnaires il fallait les mépriser bien comme il faut. Il avait fait preuve d’un parfait aplaventrisme ; il s’était couché comme une merde en nous servant du « Messieurs etcétéra ».

FRANCIS PLOMB : Ca n’avait rien à voir.

FRANÇOIS MERCURE : Ah oui ? Et pourquoi ?

FRANCIS PLOMB (laconique) : Parce que.

FRANÇOIS MERCURE (résigné) : Bon… On fait quoi alors ?

FRANCIS PLOMB : On réfléchit.

Ils se rasseyent dans le coin de la salle d’attente, aux places qu’ils avaient précédemment occupées. Aucune idée ne vient. Rien ne se passe. Tout est calme. Francis Plomb lâche un pet discret. Une mouche se pose sur le bras de François Mercure. Il la regarde bêtement.

FRANÇOIS MERCURE : Alors ?

FRANCIS PLOMB : Rien. Et toi ?

FRANÇOIS MERCURE : Rien.

Une belle femme, très élégante, entre dans la salle d’attente. Elle la traverse sous le regard attentif et ravi des deux hommes et entre dans le bureau du fonctionnaire.

FRANCIS PLOMB (siffle) : Joli morceau.

FRANÇOIS MERCURE (admiratif) : Belle plante.

FRANCIS PLOMB (crache au sol) : Je lui proposerais bien une partie de ça-va-ça-vient.

FRANÇOIS MERCURE : Moi aussi…

FRANCIS PLOMB : Ca, ça t’arrivera jamais.

FRANÇOIS MERCURE : Tu veux parier ?

FRANCIS PLOMB : Pourquoi pas. Une fois qu’elle ressort, tu la coinces et t’essaye de te l’emballer.

FRANÇOIS MERCURE : C’est comme si c’était fait !

FRANCIS PLOMB : J’aimerais bien voir ça.

FRANÇOIS MERCURE : Un jeu d’enfant.

FRANCIS PLOMB : 500.

FRANÇOIS MERCURE : 500 quoi ?

FRANCIS PLOMB : Je te parie 500 que tu te prends une veste.

FRANÇOIS MERCURE (hésitant) : 500… C’est quand même beaucoup. Si on disait plutôt 50 ?

FRANCIS PLOMB : Pff ! Dégonflé. T’as peur de perdre ?

FRANÇOIS MERCURE : Personne ne me traite de mauviette, personne. (Il se lève et se positionne devant la porte, prêt à intercepter la belle femme très élégante.)

FRANCIS PLOMB (à lui-même) : Et 500 de gagnés.

La belle femme très élégante sort du bureau du fonctionnaire. François Mercure ne la voit pas car il s’est placé face à la mauvaise porte. Elle s’approche de lui et lui dit doucement à l’oreille : « Auriez-vous l’amabilité de dégager le passage ? »

FRANÇOIS MERCURE (se retourne vivement, très surpris) : Ah !

FRANCIS PLOMB (sûr de sa victoire) : Laisse passer la dame mon petit François.

FRANÇOIS MERCURE (bafouille) : Euh oui… Bien sûr, je vous en prie Madame. Faites. (Il s’écarte du passage puis, comme il réalise qu’il laisse ainsi filer sa proie, il ajoute) Attendez Madame ! Je… vous… Ne bougez pas ! Vous avez une énorme… Il y a une sorte de… Comme une bestiole. Là. Dans vos cheveux…

LA BELLE FEMME TRÈS ÉLÉGANTE (s’arrête, pas du tout paniquée mais très perspicace) : Ecoutez Monsieur… (Elle laisse trainer des points de suspension afin d’inciter François Mercure à lui révéler son nom.)

FRANÇOIS MERCURE (ne capte pas, tente pitoyablement) : La bestiole… Elle… elle vous… Dans vos… là…

Francis Plomb, qui s’était jusque là contenté d’avec un malin plaisir observer, intervient : il se lève, exécute à l’attention de la belle femme très élégante une sorte de révérence compliquée (comme s’il avait à la main un imaginaire chapeau de mousquetaire) et déclame, d’une voix qu’il pense grave et mâle : « Francis Plomb, détective. Pour vous servir Madame… (Il laisse trainer des points de suspension afin d’inciter la belle femme très élégante à lui révéler son nom.) »

LA BELLE FEMME TRÈS ÉLÉGANTE (au contraire de François Mercure, comprend le truc) : Aurore Assenaud, Professeur Émérite des Prestigieuses Leçons de Livres du Collège Grand Ducal.

FRANÇOIS MERCURE (surpris) : Aurora Snow ! La… celle qui…

FRANCIS PLOMB : Mais non, idiot ! Aurore Assenaud. (Puis, à Aurore Assenaud) Veuillez l’excuser chère Madame, il est un peu… comment dirais-je ? Un peu…

AURORE ASSENAUD : Débile ?

FRANCIS PLOMB : Oui, c’est exactement ça : débile.

FRANÇOIS MERCURE : Aurore Assenaud ! C’est Aurore Assenaud !

FRANCIS PLOMB : C’est ce que je viens de te dire.

FRANÇOIS MERCURE : C’est Aurore Assenaud, la prof de livres !

FRANCIS PLOMB : Ben oui. C’est ce qu’elle vient de dire.

FRANÇOIS MERCURE : Le type !

FRANCIS PLOMB : Bon sang François ! Tu te sens bien ?

FRANÇOIS MERCURE : Le jeune type qu’on a taba… interrogé l’autre jour. Millitruc… Millipétrole. Ah flûte, c’était quoi son nom déjà ?

FRANCIS PLOMB : Décibelgaz.

FRANÇOIS MERCURE : Oui, c’est ça !

FRANCIS PLOMB : Et ?

FRANÇOIS MERCURE : C’est elle !

FRANCIS PLOMB : Hein !? Mais tu perds la boule mon pauvre petit.

FRANÇOIS MERCURE : C’est la prof dont Hannah est l’assistante.

FRANCIS PLOMB : Hannah ?

FRANÇOIS MERCURE : Mais oui, on a fouil… visité son appartement.

FRANCIS PLOMB : Hannah quoi.

FRANÇOIS MERCURE : T’es long à la détente.

FRANCIS PLOMB : Même pas vrai.

FRANÇOIS MERCURE : Oh que si.

FRANCIS PLOMB : Je faisais semblant et toi t’as marché.

FRANÇOIS MERCURE : Menteur.

FRANCIS PLOMB : Toi-même.

FRANÇOIS MERCURE : C’est celui qui dit qui est.

FRANCIS PLOMB : Ah ouais ? Et qui de nous deux a traité l’autre de menteur ?

FRANÇOIS MERCURE (réfléchit un instant) : Merde… Tu m’as eu.

FRANCIS PLOMB : Comme d’hab’.

AURORE ASSENAUD (qui, on se demande pourquoi, est toujours là) : Hum, hum. Messieurs ?

FRANÇOIS MERCURE : Oui ?

FRANCIS PLOMB : Madame ?

AURORE ASSENAUD : Puis-je vous être de quelque façon utile ?

FRANCIS PLOMB (se pensant subtilement drôle) : Il y aurait plus d’une manière de vous rendre utile…

FRANÇOIS MERCURE (interrompt sèchement Francis Plomb) : Qui est Hannah ? Où peut-on la trouver ? Connaissez-vous cet homme ? (Il lui montre la photographie représentant le portrait d’un jeune homme plutôt pas mal, presque beau (un air de noblesse et de sérénité émane de son regard profond et intelligent).) Le connaissez-vous ? Comment s’appelle-t-il ? Voulez-vous diner avec moi ce soir ? Vous êtes Aurore Assenaud ?

AURORE ASSENAUD : Mon assistante. A la GBC peut-être. Non. Je l’ignore. Plutôt crever. Oui.

FRANCIS PLOMB (mielleux) : Pardonnez la… fougue de mon coéquipier (la précipitation de l’immaturité). Il n’avait pas l’intention de vous brusquer. Vous voyez, il est un peu… inexpérimenté (ce que je suis loin d’être). (Il lui adresse un clin d’œil graveleux qu’il pense malicieusement sexy.)

AURORE ASSENAUD : Avez-vous d’autres questions ? Mon temps est précieux et compté et je n’ai pas coutume de le gaspiller en compagnie de tels « personnages ».

FRANÇOIS MERCURE (d’un ton abrupt) : Vous avez mentionné la GBC ; qu’est-ce ?

AURORE ASSENAUD (d’un étonnement non feint) : Vous plaisantez ?

FRANÇOIS MERCURE : Jamais pendant le service.

AURORE ASSENAUD : La Grandissime Bibliothèque Capitalienne ; une de nos plus anciennes et vénérables Institutions.

FRANCIS PLOMB : François, t’es vraiment inculte.

FRANÇOIS MERCURE : Ca n’a rien à voir avec la culture. Je connaissais pas, c’est tout.

AURORE ASSENAUD : Veuillez m’excuser Messieurs mais je dois disparaître.

FRANCIS PLOMB : Mais faites donc chère Madame. (Il lui ressert son étrange révérence.) Ce fut un plaisir.

FRANÇOIS MERCURE : Plaisir partagé.

AURORE ASSENAUD : ? (Elle disparaît.)

FRANÇOIS MERCURE : T’as vu ça ?

FRANCIS PLOMB : Vu quoi ?

FRANÇOIS MERCURE : Comment j’ai assuré.

FRANCIS PLOMB : Ha, ha, ha. Pauvre petit François.

FRANÇOIS MERCURE : Allez, par ici la monnaie !

FRANCIS PLOMB : ?

FRANÇOIS MERCURE : Elle a dit oui.

FRANCIS PLOMB : ?

FRANÇOIS MERCURE : Tu ne l’as peut-être pas remarqué (c’était sans doute trop fin pour toi) mais quand je l’ai questionnée, je lui ai astucieusement glissé une invitation à dîner… Et elle a dit oui. Alors donne-moi les 500. J’en aurai bien besoin. J’ai l’intention de l’inviter dans un resto très chic et très cher.

FRANCIS PLOMB : Mon dieu François, c’est encore pire que ce que je pensais…

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